• [2011-09-22] Prospérité sans croissance : ce que j'en retiens

    «[P]our de nombreux économistes, l’idée d’atteindre la prospérité sans croissance relève de l’hérésie la plus totale. »  Tim JACKSON, Prospérité sans croissance, p. 22.

    « Nous ne sommes pas d’accord avec les anticapitalistes qui voient la crise économique comme une occasion d’imposer leur utopie, qu’elle soit du type socialiste ou écofondamentaliste. » Independant on Sunday, fin 2008, cité par  Tim JACKSON, Prospérité sans croissance, p. 112.

    Proposer un compte-rendu de ce livre est un exercice périlleux tant les sujets qui y sont abordés sont passionnants, tant les idées fusent à chaque page, et, à mon goût, peu structurées (point de vue qui m’est propre).  Comme chacun de mes « comptes-rendus », celui-ci est éminemment  partial et arbitraire.  Après tout, c’est un des buts de ce blog, m’offrir un espace d’expression personnelle.

    Avant de publier ce papier, je m’étais fixée comme objectif de présenter l’auteur.  Finalement, après quelques tentatives, j’y renonce.  Il suffit de G***ler son nom pour découvrir le C.V. du personnage.  Je me contenterai ici de reproduire ce que rapporte l’U.C.L. :

    • Professeur à l’Université de Surrey (UK), Centre for Environmental strategy (CES)
    • Directeur du Research Group on Lifestyles, Values and Environment (RESOLVE)
    • Rapporteur de la Sustainable Developement Commisssion du gouvernement britannique
    • Auteur de Prosperity without growth. Economics for a Finite Planet (2009)

    Cette petite digression pour notifier ceci : Tim Jackson est un homme “institutionnel”.  Pour vous donner une idée, l’ouvrage est préfacé, notamment, par Patrick Viveret, philosophe, animateur du Centre international Pierre Mendès France et par Mary Robinson qui fut Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme et Présidente irlandaise…Cela vous donne une idée.  On est loin d’un homme « alter »[1].

    Et parce que j'ai très envie de déjà partager avec vous ce que je me suis amusée à relever de ce bouquin, je vous livre mes écrits même s'ils ne sont pas finis.  Deux points importants plus la conclusion sont encore à exposer...La suite viendra.

    Plan de mon exposé

    1.          Avoir pour être heureux et s’endetter pour avoir

    Avoir, une condition du bonheur

    Avoir pour communiquer avec l’autre

    La shopping thérapie

    S’endetter pour avoir

     L’endettement financier

    L’endettement écologique

    2.          Mythe du découplage et leurre du greenwashing

    Le mythe du découplage

    Le leurre du greenwashing

    3.          Pistes pour sortir de l’impasse [encore à rédiger]

     

    4.          Soigner la transition [encore à rédiger]

    Conclusion [encore à rédiger]

     


    [1] Ceci rassurera peut-être le lecteur qui se détournerait d’une lecture « anarchiste » ou refuserait de s’embarquer dans une tirade sans nuance ni subtilité du capitalisme, de l’impérialisme…(c’est ce que je pense des deux livres de Naomi Klein que je peine, j’avoue, à lire, bien que les sujets m’intéressent à un très haut degré. J’aurais peut-être un jour le courage d’en reparler dans un billet exclusivement rédigé à cet effet).


     1.          Avoir pour être heureux et s’endetter pour avoir

    Avoir, une condition du bonheur

    C’est un truisme.  Tout le monde le dénonce mais c’est ainsi.  Pour beaucoup d’entre nous, être heureux se concrétise par l’acquisition de biens matériels.  Les mots de Tim Jackson font plus sérieux, prenez le titre L’opulence matérielle comme condition de l’épanouissement  (p. 62), mais l’idée reste la même :

    De fait, notre capacité d’épanouissement diminue rapidement si nous ne disposons pas d’assez de nourriture ou d’un abri adéquat.  Cette vérité justifie que l’on défende avec vigueur une augmentation des revenus dans les pays plus pauvres.  En revanche dans les économies avancées [sic ! je souligne], certaines inégalités pernicieuses mises à part, nous avons largement dépassé ce seuil.  Les besoins matériels sont assez largement rencontrés et les revenus disponibles sont de plus en plus consacrés à d’autres fins : loisir, interaction sociale, expérience de vie.  Il reste clair, cependant, que cette situation n’a pas diminué notre appétit de consommation matérielle. (p. 62)

    Alors, pourquoi accordons-nous toujours autant d’intérêt et d’importance aux biens de consommation, alors que nos besoins (primaires) sont satisfaits bien au-delà du nécessaire ? 

      Avoir pour communiquer avec l’autre

     La clé de cette énigme se trouve dans notre tendance à imprégner les objets matériels d’un sens social et psychologique.  De nombreuses conclusions issues de recherches sur la consommation et de l’anthropologie en attestent désormais.  Leur conclusion est accablante.  Les biens de consommation sont porteurs d’un langage symbolique grâce auquel nous communiquons en permanence les uns avec les autres (…). (p. 62) 

    Quiconque a déjà ressenti – ou vu ses enfants ressentir – la pression immense qu’exerce le groupe des pairs pour se conformer à la dernière mode comprendra à quel point l’accès à la vie de la société se fait par l’intermédiaire de la matière. (p. 64)

    Certes, ce n’est pas tant la volonté de communiquer par le biais des biens matériels qui pose problème mais l’importance que ceux-ci ont gagné dans notre communication, dans notre façon d’interagir avec l’autre afin de se sentir dans la même société que lui. 

    Les objets matériels ont toujours été capables de porter des significations symboliques.  Ils ont souvent été utilisés pour affermir une position sociale.  C’est qu’à l’époque moderne que cette abondance d’objets matériels a été impliquée aussi profondément dans tant de processus sociaux et psychologiques.  (p. 107)

    L’auteur parle de la « cage de fer » du consumérisme (p. 94).  Vous aurez noté qu’il est question de consumérisme et non de consommation.  La distinction est de taille.  Elle mérite de sortir brièvement du livre de Tim Jackson.   

    En effet, le lecteur attentif que vous êtes veillera à distinguer la consommation du consumérisme. Tim Jackson ne s’attarde pas sur cette distinction, pourtant capitale à mes yeux.  Contrairement à Jean De Munck, dans son excellente contribution à Redéfinir la prospérité. Jalons pour un débat public, intitulée « Les critiques du consumérisme » : 

    D’abord, qu’est-ce que le consumérisme ?  Le consumérisme désigne autre chose que la consommation.  Biologiquement, la consommation est tout simplement une fonction de la vie ; il s’agit de l’usage des ressources de l’environnement pour la survie d’un organisme.  Economiquement, la consommation désigne l’acte d’achat et l’usage des biens et services achetés.  (…)

    On désigne par « consumérisme » un mode de vie, des normes et standards du désir légitime et de la vie réussie, un mode de communication des messages, des biens et des services.  (…)  [I]l s’agit d’un mode de consommation individualiste, dépendant du marché, quantitativement insatiable, envahissant, hédoniste, axé sur la nouveauté, faisant usage des signes autant que des choses, très dépensiers en ressources naturelles et en travail humain.  […] 

    En second lieu, le consumérisme est un mode de consommation historiquement daté et géographiquement situé.  Il n’a pas d’équivalent dans des sociétés humaines antérieures.  IL s’agit du mode de consommation adopté depuis les années 1920 par les sociétés capitalistes.  […]   Centré sur l’Occident, il pénètre de plus en plus les pays du Sud en développement, tout spécialement les pays dits « émergents ».  (pp. 103 & 104)

    Tim Jackson a bien décrit cette dernière phrase de Jean de Munck :

    La société de consommation est désormais, dans toutes ses composantes les plus fondamentales, une société mondiale.  Bien sûr, cette société reste faite « d’îles de prospérité et d’océans d pauvreté », mais « le pouvoir évocateur des objets » y crée de plus en plus le monde social et fournit l’étalon dominant du progrès personnel et sociétal.

    J’imagine que c’est à ce phénomène de nouvel étalon sociétal imposé à l’ensemble de la planète que Serge Latouche pense lorsqu’il dénonce l’occidentalisation du monde (livre acheté, prêt à être lu…).  A vérifier.  Pour l’heure, revenons à Tim Jackson.

    Après un détour sur la définition du capitalisme selon Baumol (Good Capitalism, Bad Capitalism), Tim Jackson évoque Joseph Schumpeter.  Cet économiste serait le premier à avoir avancé que, plus que tout, c’est la nouveau, le processus d’innovation qui nourrit la croissance économique, selon une logique de « destruction créatrice ».   Tiens, on y revient, à cette « nouveauté ».  Jean de Munck l’évoquait également (voy. Plus haut).

    Sans cesse, de nouvelles technologies et de nouveaux produits font leur apparition et relèguent les technologies et les produits existants aux oubliettes.  (p. 104)

    Ce processus de « destruction créatrice » implique que même une entreprise florissante ne peut se reposer sur ses lauriers, elle doit continuer à « innover », au risque de ne plus exister. 

    L’obligation de vendre plus de biens, d’innover en permanence, d’encourager un niveau toujours plus élevé de demande de consommation est alimentée par la recherche de la croissance.  (…)

     Les cycles de destruction créatrice deviennent de plus en plus fréquents.  La durée de vie des produits s’écroule au fur et à mesure que la durabilité est exclue de la conception des biens de consommation et que l’obsolescence y est incluse.  La qualité est continuellement sacrifiée à la quantité.  Cette société qui balance tout à la poubelle n’est pas tant une conséquence de la gloutonnerie des consommateurs qu’une condition de survie du système.  La nouveauté a été enrôlée au service de l’expansion économique. Pp. 104 & 105.

    Comment ne pas penser au film Prêt à jeter ?  Comment ne pas penser à ce blog ? 

    Et Tim Jackson de poursuivre

    Ceci ne veut pas que l’innovation soit toujours destructrice. Ou que la créativité soit intrinsèquement mauvaise.  Au contraire, l’esprit créateur peut enrichir – et enrichit- nos vies.  Sa capacité à le faire a déjà été démontrée.  […]

    Mais nous ne pouvons pas non plus voir dans la nouveauté un élément entièrement neutre dans la dynamique structurelle développée par le capitalisme.  En fait, un élément encore plus profondément enraciné en nous joue ici, qui contribue à nous enfermer dans le cycle de la croissance.  La production permanente de nouveautés n’aurait que peu de valeur pour les entreprises s’il n’existait pas auprès des ménages un marché de consommation de ces nouveautés.  (p. 105)

    L’on appréciera la précision de Tim Jackson par laquelle il se veut rassurant : il n’est pas technophobe.  A ce sujet et sur la confusion que l’auteur entretient sur l’innovation qui, à le lire, serait par essence technologique, je vous renvoie à l’excellent article « Des laboratoires aux champs : les enjeux d’un changement de paradigme », signé par Gaëtan Vanloqueren et Philippe Baret dans le livre Redéfinir la prospérité. Jalons pour un débat public et dont je parle longuement dans : Technophobe, moi? Contre la science, moi? Plaidoyer pour une émancipation de l'innovation de ses geôliers "scientifique" et "technologique"

    La consommation (qui entraîne l’investissement et le progrès technologique) alimente la croissance exactement comme la croissance et le progrès technologique alimente la consommation.  Robert Ayres (2008), « Sustainability Economics : where do we stand ? », Ecological Economics 67, p. 292, cité par Tim Jackson, p. 86.

    Enfin, pour terminer sur ce sujet, un petit mot sur la critique du dogme de l’ « efficacité », critique que je retrouve dans tous les ouvrages que je lis en ce moment.

    La croissance induit l’efficacité technologique […]. (p. 127 – je mets en italique)

                                                                    La shopping thérapie

    La logique sociale dénoncée par Tim Jackson trouve sa base dans la cathexis, autrement dit, le processus par lequel l’homme s’attache à un objet au point de penser, et même ressentir, précise l’auteur qui cite Russ Belk, « les possessions matérielles comme une partie d’un ‘’moi élargi’’ ». 

    Nos attachements aux objets matériels sont parfois tellement puissants que nous pouvons souffrir d’une sensation de deuil s’ils nous sont ôtés.  […]

    Certaines possessions font parfois office de sanctuaire de nos souvenirs et de nos sentiments les plus précieux.  Elles nous permettent d’identifier ce qui est sacré dans nos vies et de les distinguer du banal.

    Aussi vicié soit-il, ce type de matérialisme peut même apporter une espèce de substitut à la consolation qu’offre la religion.  Dans un monde laïque, avoir quelque chose en quoi espérer et particulièrement important quand les choses vont mal.  Ce n’est pas pour rien que la ‘’shopping thérapie’’ fonctionne. (p. 106)

    Je suis la première à me sentir visée.  J’accumule une série de « souvenirs » dont je ne parviens pas à me débarrasser, tant ils sont chargés émotionnellement.  Ils n’ont pas de valeur marchande, mais j’y vois comme la trace de mon passé, laquelle relève à mes yeux de ce que Tim Jackson appelle « un sanctuaire sacré ».

    L’économiste anglais poursuit sur ce qui constitue pour la cathexis un fondement :  la nouveauté.  Dans premier temps, il s’agit de se distinguer de l’autre par un objet.  S’afficher avec un gadget dernier cri vise à montrer son statut social, puisque l’on a surtout comme dessein de montrer que l’on peut s’offrir un produit réservé à une certaine classe sociale.  Ensuite, le jeu consiste à pratiquer l’émulation, autrement dit : la comparaison sociale, ou dit encore plus clairement : « la course au standing avec les voisins » (dixit l’auteur lui-même, p. 106).

    Que la nouveauté soit séduisante par en elle-même, qu’elle nous ouvre les voies du rêve et de l’espérance, voilà ce qui est inquiétant. 

    Elle nous aide à sonder nos rêves et nos aspirations à une vie idéale et à échapper à la réalité parfois cruelle de nos vies. (p. 107)

    J’ai l’impression que notre homme parle de la publicité plus que de la nouveauté, mais en fait, c’est lié. La publicité est là pour nous vanter les produits nouveaux et pour nous faire croire qu’en les acquérant on est cool (voy. No Logo) ou qu’on est riche, avec tout ce que la richesse embrasse de fantasmes.

    Plusieurs enseignements, interconnectés, sont à retenir de ce « moi élargi », fruit de la cathexis.

    1)      Les biens matériels nous font rêver à des idéaux, des rêves, sans, pourtant ne jamais nous permettre de les effleurer.  Ils nous offrent une « passerelle tangible vers nos idéaux les plus élevés », sans pour autant en donner « aucun accès digne de ce nom ». 

    Cet échec laisse béant le besoin de futures passerelles et, de la sorte, stimule notre envie de posséder plus de biens.  La culture de la consommation se perpétue pour cette raison précise qu’elle excelle dans l’échec. (p. 107)

    Dit clairement, acquérir des biens nous fait croire que l’on peut ainsi atteindre notre idéal de vie (avoir une belle maison, deux enfants et un labrador, deux voitures).  Or lorsque nous possédons cette belle maison, ces deux enfants et ce labrador, ces deux voitures, nous réalisons que notre existence ne colle pas avec notre idéal de vie.  Du coup, nous nous disons qu’il faudrait peut-être également avoir un bateau pour être vraiment bien (je reprends ici sciemment le rêve classique de chez classique d’une belle maison avec jardin, etc.).  Après le bateau, il manquera forcément autre chose.  D’autant que l’autre (le frère, l’ami, le voisin, le collègue, …) aura toujours autre chose que l’on n’a pas (une belle femme ? de beaux enfants ?  un boulot passionnant ?  un travail valorisé ? du temps ?).

     

    2)      Ce manque constant d’autre chose traduit en fait un « moi vide » qui a éternellement besoin d’être rempli. Que ce soit par de la nourriture (je parierais que chacun qui me lit ici connaît la sensation provoquée par le fait de manger sans avoir faim) ; par des produits de consommation ou des célébrités (il suffit de voir le succès de la « peoplisation »). En fait, le « moi élargi » induit par la cathexis est un « moi vide » qui a besoin d’être rempli sans interruption.  Ce « moi vide » souligne Tim Jackson est alimenté par la comparaison sociale (on y revient toujours, à la comparaison, à la concurrence, à la compétition…).

     

    3)      En réalité, l’angoisse induite par ce « moi vide »

     

    est le complément parfait de l’innovation anxieuse de l’entrepreneur. La production de la nouveauté par la destruction créatrice alimente (et est alimentée) l’appétit pour la nouveauté des consommateurs.

    Pris ensemble, ces deux processus qui se renforcent mutuellement constituent très exactement les ingrédients nécessaires pour pousser la croissance en avant.  […]

    Le moi élargi est motivé par l’angoisse du moi vide.  La comparaison sociale se nourrit de l’angoisse d’obtenir une position favorable dans la société. (p. 108)

     

     S’endetter pour avoir

     L’économie capitaliste fonctionne grâce à l’endettement. (p. 37)

    De longs développements sont consacrés pour expliquer, de manière relativement didactique, ce qu’est : la dette publique, la dette extérieure, la dette et la masse monétaire.  Je ne rentrerais pas ici dans ces considérations.  Ce que je souhaite surtout souligner, c’est le rôle central, indispensable, de la dette dans la société consumériste.  

    La population est incitée à s’endetter par un ensemble complexe de facteurs notamment le désir d’affirmer son statut social et les incitants mis en place pour stimuler les ventes de consommation.  (p. 41)

      L’endettement financier

    Ce qui doit être clair dès maintenant, c’est que les racines de la crise économique vont bien au-delà du trop grand amour d’un pays particulier à l’égard de son secteur bancaire ou de la dépendance d’un autre vis-à-vis de ses débouchés d’exportation.  En fait, elles trouvent notamment leur origine dans un effort concerté de libéralisation du crédit aux fins d’obtenir une expansion économique mondiale.

    Dans Le nouveau paradigme des marchés financiers, Georges Soros attribue l’émergence sur les marchés financiers mondiaux de ce qu’il appelle une ‘’superbulle’’ à une série de politiques économiques destinées à augmenter les liquidités comme moyen de stimuler la demande.  […] L’encouragement de la croissance était leur objectif primordial.

    En résumé, il ressort de tout ceci que le marché n’a pas été défait par des pratiques isolées qui étaient le fait de voyous ou de régulateurs moins que vigilants qui auraient fermés les yeux.  Ce sont les politiques mêmes qui ont été mises en place pour stimuler la croissance de l’économie qui, en fin de compte, ont provoqué sa chute.  C’est la croissance elle-même que le marché a défait.  (p. 44)

    A la relecture de ces pages, je pense à cet extrait de la contribution de Christian Arnsperger dans Redéfinir la prospérité. Jalons pour un débat public, sous le titre de « Quelle action collective pour repenser la prospérité?  Enjeux démocratiques de la transition écologique et économique » [j’en parle succinctement ici]:

    La notion de prospérité qui régit actuellement les sociétés industrielles-capitalistes - l'identification de la prospérité à l'accroissement de la richesse nationale, elle-même identifiée à la croissance du PIB - est le résultat de dynamiques historiques longues.  Elle repose sur des facteurs tant économiques que politiques et culturels.  La culture économique qui domine la planète a évolué sur des siècles.  Elle n'a été décrétée par personne, même si certains penseurs ont pu, à un moment ou à un autre, en synthétiser certains éléments centraux: on pense à Adam Smith au XVIIIè siècle ou à Karl Marx au XIXè.  EN même temps, cette notion de la prospérité n'a pu perdurer et s'immiscer en profondeur dans nos imaginaires culturels que parce qu'elle a joui d'un soutien politique et de décisions concrètes.  Dès lors, si l'idée de prospérité comme croissance de la richesse marchande dans le cadre d'une économie industrielle-capitaliste n'a pas été planifiée et instaurée par décret, elle a bel et bien été portée par une gestion publique de la croissance.(en italique dans le texte - p. 239)

     L’endettement écologique

    Il est des mystères qui me dépassent.  Toujours est-il qu’il paraît que, pour certaines personnes, le lien entre croissance et crise écologique n’est pas établi.

    La crise économique peut sembler n’entretenir aucun lien entre [d’une part, les répercussions matérielles de la croissance et d’autre part, les répercussions environnementales de la croissance], mais il n’en est rien.  L’âge de l’irresponsabilité reflète un aveuglement de long terme quant aux limitations de notre monde matériel.  Cet aveuglement se voit de façon dans notre incapacité à réguler les marchés financiers que dans notre incapacité à protéger les ressources naturelles et à restreindre les impacts écologiques. Nos dettes écologiques sont aussi instables que nos dettes financières.  Aucune n’est dûment prise en compte dans la poursuite sans trêve de la croissance de la consommation.

    Afin de protéger la croissance économique, nous avons été disposés à admettre – et avons même recherché – l’accumulation de lourds passifs financiers et écologiques, croyant ceux-ci nécessaires pour assurer la sécurité et nous préserver de l’effondrement.  Mais ce choix n’a jamais été soutenable à long terme.  La crise financière nous a montré qu’il n’est même aps soutenable à court terme.

    Nous devons à la vérité d’écrire que nous avons échoué à faire fonctionner nos économies de manière durable, y compris en termes financiers.  C’est pourquoi les réponses à cette crise qui visent le statu quo sont profondément malencontreuses et condamnées à l’échec.  La prospérité aujourd’hui ne signifie rien si elle sape les conditions dont dépend la prospérité de demain.  Et le message le plus important de la crise financière de 2008, c’est que demain est déjà là. (pp. 46 & 47)

     2.          Mythe du découplage et leurre du greenwashing

     

    Le mythe du découplage

    Découpler vise à réduire, voire annihiler tout lien de corrélation entre l’activité économique et les dégâts environnementaux grâce à l’efficacité, efficacité technologique, scientifique, technique.  Il s’agirait, dans le respect des limites écologiques, de continuer à produire plus de biens, plus de services, sans remettre en cause le bien-fondé, la légitimité et la pertinence de cette logique de produire plus, et ce, grâce à un progrès technique.

    Autant prévenir, cet argument est démoli en flèche par Tim Jackson, chiffres et graphes à l’appui.  L’auteur démontre que le découplage tant relatif (les impacts sur l’écosystème peuvent encore croître mais dans une mesure moindre que le PIB) qu’absolu (les impacts sur les ressources naturelles déclinent en terme absolu) ne suffira pas[1].  Si le découplage absolu est une nécessité, il n’en demeure pas moins une mesure bien en-deçà de ce que la nature exige.

    Dans cette partie du livre, l’économiste anglais invoque l’équité, le « devoir moral » des pays riches « de faire beaucoup plus que les pays pauvres pour atteindre une stabilisation » (p. 93).

    Plaider pour le découplage, dit l’auteur, revient à « prendre des vessies pour des lanternes » ou à défendre une théorie « pour le moins fantaisiste ».   (p. 94)

     Le leurre du greenwashing

    Suite à la crise de 2008, seule l’option de la relance économique (stimuler la croissance, « rétablir la confiance du consommateur », les inciter à consommer) a rencontré les faveurs des politiques. 

    Toutefois, les dirigeants de ce monde n’ont pas pu être hermétiques aux inquiétudes des écologistes. Ils ont donc veillé à vendre à la population une relance économique verte

    Comment s’est concrétisée cette relance économique ?

    Fin 2008, environ sept billions de dollars américains ont été débloqués par les Etats pour « garantir les actifs toxiques, recapitalise les banques, tenter de rétablir la confiance dans le secteur financier et stimuler l’emprunt » p.  117.  (ah, la dette !)

    Aux Etats-Unis, l’industrie automobile a pu se vanter d’avoir reçu des aides directes à concurrence de 23 milliards de dollars. 

    En quoi cette relance est-elle verte ?

    Clairement, dans la pratique, peu de mesures « vertes » ont été prises, encore moins appliquée.

     


    [1] J’aime cette question franche posée par Tim Jackson : « sommes-nous à ce point aveuglés par le conformisme que nous n’osons pas faire les calculs de peur de révéler la vérité ? ».   Oui, Monsieur Jackson, nous sommes englués dans un conformisme délirant.  (je suis en pleine lecture Albert OGIEN, Sandra LAUGIER, Pourquoi désobéir en démocratie ? [2010].  Le diagnostic est plus qu’inquiétant)

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  • Commentaires

    1
    Mardi 15 Mai 2012 à 15:10
    la sorcière du logi

    excellent article. Je ne m'étais jamais rendue compte que sans le savoir, j'appliquais tous ces concepts, que j'étais une décroissansiste qui s'ignorait :)

    Ce qu'il raconte est tellement logique. Je me demande pourquoi il faut que ce soit un homme aussi instruit qui le sorte tellement ça semble simple :(

    Je suis ingénieur en énergétique ET manager en innovation. Je ne te dis pas le paradoxe. ma branche scientifique me donne l'impression qu'on est fichus (désolée, c'est vraiment trop tard, on est fichus), et ma branche managérial que tout est beau dans le merveilleu monde de l'innovation perpetuelle.

     

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    2
    Den Profil de Den
    Mardi 15 Mai 2012 à 21:11

    Chouette, une décroissante qui s'ignorait.  Je me réjouis de découvrir ton blog.

    Aï.  Comme tu dis, on est fichu.  C'est mon impression.

    Mais, évidemment, pour manager, c'est mieux de motiver, donc cela n'est pas compatible avec une vision trop pessimiste.  Du coup, j'imagine comme tu dois être entre 2 chaises...

     

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