• 15 mai '13 - L'économie malade de ses chiffres

    L'économie est malade de ses chiffres...titre d'un échange entre David Orrell (D.O.), mathématicien canadien, et Tomas Sedlacek (T.S.) et traduit dans Books. 

    Faites-vous allusion à l'obsession de la croissance, omni-présente en ce moment?

    T.S.: Ah, croire qu'il est absolument normal de croître!  Croire que la croissance est le destin des systèmes, c'est absurde.  Historiquement, la stabilité est au fondement de la science économique.  Les théoriciens classiques pensaient en termes d'équilibre, ou se demandaient à quoi ressembleraient notre société une fois que nous serions arrivés à cet état stable; ils ne s'intéressaient pas au chemin de croissance mais à l'état de repos. Aujourd'hui, c'est le contraire.  Très peu de penseurs se disent: "Imaginons un siècle de croissance, puis un arrêt.  A quoi ressemblera alors la société?  Sera-t-elle une bonne ou une mauvaise société?  La croissance nous aura-t-elle conduits dans la direction que nous souhaitons". Je n'ai aucune certitude, mais je m'inquiète que personne ne se pose ces questions.  Une autre remarque, sur un phénomène que je trouve très étonnant à propos du PIB: nous nous sommes réjouis des 2 ou 3 % de croissance enregistrés par certains pays européens en 2010.  Personne ne dit que, la même année, le déficit public de ces pays avait atteint 7 ou 8 % du PIB.  Donc, si l'on shématise, ils ont payé 7 % de dette et en ont tiré 3 % de profit.  Aucune raison de se réjouir!  Nous ne savons pas disjoindre la croissance de l'endettement.  C'est la cause des problèmes dans le secteur bancaire, au niveau individuel comme au niveau macroéconomique.  L'emprunt a généré une croissance artificielle.  C'est l'une des explications de l'état désastreux de la situation financière.  Et depuis, rien n'a changé.

    Le PIB, la croissance est les autres notions économiques sont un peu comme des fétiches.

    D.O.: C'es assez drôle.  Je me souvient qu'il n'y a pas si longtemps, on prédisait 0,2 % de croissance ou quelque chose de cet ordre.  Puis un organisme a annoncé une croissance de 0,1 %.  Et les journaux ont titré: la croissance du PIB moitié moins importante que prévu.  Peu importait le biais statistique...

    T.S.: Un psychodrame pour un dixième, ça n'a pas de sens...

    D.S.: ...Exactement, un ou deux dixième de point de croissance peuvent tout simplement disparaître ou apparaître au cours du processus.  Et, pourtant, nous accordons à ces chiffres une valeurs presque religieuse.

    T.S.: Je supprimerais le presque.  Nous attachons une importance religieuse à des valeurs que nous savons faillibles.  Et cela deux après que tout le monde s'est trompé sur la croissance de tous les indices, PIB inclus; les économistes n'ont pas réussi à tirer de ces indices fétiches des conclusions justes.

    [...]

    Le culte du chiffre!

    Thomas Gunzig, dans un café serré, a ironisé sur un autre chiffre, celui du déficit.  Je ne parviens pas à mettre la main sur le podcast, mais, en le cherchant, je suis tombée sur une transcription de son texte ici

    "Mais je m’égare. Ce matin, je voulais donc vous parler du budget. Et j’ai beaucoup réfléchi. 2,8 milliards. 2,8 milliards. 2,15 % de déficit. 2,8 milliards. Mais comment faire pour trouver tout ce pognon ? Alors, déjà, j’ai une question. Pourquoi, 2,15 % ? Parce que moi je croyais que le chiffre magique c’était 3 %. Mais enfin, on a toujours dit 3 %. Depuis l’aube des temps économiques, on a dit 3 %. On a tellement dit 3 % que plus personne n’est d’ailleurs aujourd’hui capable de dire pourquoi à 3 % et pas à 4 ou 5 ou 82. 3 %, personne ne sait pourquoi. Sans doute un truc qu’on a dit un jour dans un bureau comme ça. Un peu comme on dit « Ah, tu sais qu’on utilise 10 % de son cerveau. ». Ou bien « Les heures de sommeil avant minuit comptent double. ». Ou bien « Il faut boire 2 litres d’eau par jour. ». Le déficit, c’est 3 %.

    Bon, donc 3 %. Mais alors pourquoi maintenant 2,15 les amis ? Pourquoi ? Et bien, apparemment, 2,15 %, personne ne l’a demandé. C’est la Belgique qui a proposé ça à l’Union européenne. Genre, pour faire sa frotte balle. Non, mais ça va pas ou quoi ? 2,15 %. Mais qui a proposé ça ? Je suis sûr que ça s’est joué en fin de réunion quand le Belge a voulu épater la petite Nikolina. La représentante bulgare qui avait un petit haut Dolce Gabanna. Un peu vulgaire mais très sexy. Et que le Belge qui a senti une ouverture aura lancé : « 2,15, moi je dis 2,15. Je sens qu’on peut le faire les 2,15. ». Nom de dieu. Mais quel con. Bon, j’espère qu’au moins il a conclu avec Nikolina. Parce que ce coup là il était à 2,8 milliards d’euros. Et qu’il nous a tous gravement fichu dedans. 2,15.

    Enfin, bref. Si je résume : au départ, on avait 3 % même si on ne savait pas vraiment pourquoi et puis à cause de Nikolina on a dit 2,15. Et puis ici, tout le monde s’est mis à s’engueuler. Mesures structurelles. Non, mesures ponctuelles. Non, mesures structurelles. Non, ponctuelles. Et dans tous les cas ça va être dur. Ça va être grave. On va égorger les chômeurs. On va ruiner les sociétés. On va briser l’indépendant. On va déshériter les fonctionnaires. Les vieux vont mourir de faim avec des retraites de 18 cents. La misère noire.

    Alors moi je me suis posé une question. Vu qu’on ne sait plus trop pourquoi on a dit 3 %. Et vu que les 2,15, on s’en fout, ça ne compte pas, c’était un truc sexuel. Et si on faisait comme avec les contraventions : d’abord on ne paye pas et on attend le premier rappel parce que des fois ça se perd. Je ne pense pas qu’on court un risque énorme. Et en attendant, on passera une chouette fin d’hiver. Voilà. C’est ma proposition raisonnable du jour.

    D’ici là à demain".

    Le 28 mars, il revenait sur ce café serré, car le gouvernement revenait sur le chiffre de 2,15 %, faisant référence à un revirement du gouvernement (voy. par exemple ici)  A réécouter ici:

    Et oui Georges, tout a changé parce que je me suis rendu compte qu’en réalité j’exerçais une influence majeure sur le gouvernement. Hier, j’ai eu la preuve qu’on m’écoutait en haut lieu. Et non seulement on m’écoute mais comme la pythie de Delphes, on prend des décisions en fonction de ce que je dis.

    Vous voulez la preuve ? Et bien, souvenez-vous de mon billet du 13 mars. Il y a quinze jours. Vous vous souvenez de mon billet du 13 mars ? Et bien, merci d’être attentif. C’était un billet dans lequel j’ironisais sur les 2,15 % de déficit en disant que c’était un objectif inutile et idiot. Ah, mais c’est qu’il y a quinze jours, j’avais du les accepter les critiques acerbes et les airs supérieurs, les coups de téléphone anonymes. Ah ça, il n’était pas question de les critiquer les 2,15 %. C’était parole d’évangile les 2,15. Si on a dit 2,15, c’est qu’il y a de très bonnes raisons. Ça veut dire que au-delà la terre va s’ouvrir et que des licornes assoiffées de sang en sortiront pour violer nos filles et nos compagnes dans le sang impur de notre Belgique mère chérie. On disait tout cela.

    Et puis hier, qu’est-ce qu’on apprend ? Qu’est-ce qu’on apprend ? On apprend que ces 2,15 et bien on va faire sans. Qu’on peut choisir, 2,5 ou 2,6, on verra. Mais pas 2,15, surtout pas. 2,15. 2,15 mais quelle folie. Nom d’un chien Georges. J’ai un pouvoir de malade. Je dis un truc et quinze jours après, paf, ça passe au cap du comité d’experts et zou, c’est emballé par le gouvernement.

     Ah! les chiffres...Vous y comprenez quelque chose, vous? 

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