• 5 mars '15 - L'accouchement sans douleur, la quête du Graal pour certaines ?

    Il y a peu, j'ai rencontré d'autres femmes actives dans la revendication pour une naissance respectée.  J'ai cru comprendre que pour nombre de ces femmes, notre société induisait la douleur liée à l'accouchement.  A l'image de l'enfant à qui un-e adulte répète qu'il/elle va tomber et qui du coup, tombe, une femme à qui la société répète que l'accouchement fait mal a mal lors de son enfantement.  Cela a l'air logique, en fait.

    Se répand même l'idée que certaines femmes "parviennent" à un accouchement orgasmique (le mot "parvenir" n'est pas anodin de ma part, j'y reviendrai). 

    J'avoue, je suis très mal à l'aise avec ce genre d'apologie de l'accouchement sans douleur, de l'accouchement orgasmique.

    Même lors de mon accouchement idéal (celui de ma fille qui ressemble quasi en tous points à la description rédigée quelque temps auparavant de mon accouchement idéal), j'ai eu mal.  Il m'est rétorqué que c'est normal, vu que nous vivons dans une société qui dit que l'accouchement fait mal, j'ai donc intégré le message que j'aurais mal.

    Le souci avec ce genre d'argument est du même ordre que celui qui dit que l'inconscient existe et que si une personne remet en cause ce postulat, c'est parce que, inconsciemment, elle refoule.  Son inconscient l'empêche d'admettre l'existence de son inconscient...Vous me suivez?

    Si, la prochaine fois que j'accouche, je n'"atteints" pas un accouchement orgasmique, ce sera sans doute parce que je n'y crois pas et que je n'aurais pas assez lâché prise.

    Certes, je ne souhaite pas remettre en cause le témoignage de certaines femmes.  Après tout, il existe de tout dans ce monde (comme les femmes souffrant du syndrome d'excitation sexuelle).

    Ceci dit, je me demande si en grandissant dans une société où l'accouchement n'est pas associé à la douleur, les femmes seraient majoritaires à connaître des accouchement sans douleur.  J'ai lu par exemple rapidement le témoignage d'une femme ayant vécu un accouchement orgasmique.  Elle reconnaît avoir connu de la douleur ET du plaisir. 

    Je me pose des questions sur le fait de NIER la douleur.  Même dans le récit de Leboyer et de cette femme qui l'a tellement surpris avec son accouchement naturel, je n'ai pas compris que la femme n'avait PAS MAL.  Mon interprétation du récit et des images que j'ai vues sur youtube n'est pas que les femmes n'ont pas eu mal, mais qu'elles ont réussi à intégrer la douleur pour la transformer.  Ce qui est fondamentalement différent à mon sens.  Car cela implique quand même d'accepter que la douleur tout en admettant que celle-ci puisse ne pas devenir souffrance.  J'ai lu que certaines personnes distinguaient la douleur de la souffrance.  Je trouve cette distinction judicieuse. 

    A mon sens, un accouchement fait mal. Une femme qui accouche éprouve de la douleur. Mais, cette douleur peut être vécue autrement que comme de la souffrance, c'est-à-dire une douleur qui submerge et anéantit tellement que la personne s'y perd et ne retrouve jamais pied.

    Nier le fait que la douleur est une composante de l'accouchement revient à donner une injonction aux femmes qui, si elles étaient libérées dans leur corps et dans leur sexualité, devraient pouvoir atteindre un accouchement orgasmique!  L'accouchement sans douleur, voire l'accouchement orgasmique, le Graal des parturientes!  Nier la douleur de l'accouchement, c'est faire sur l'accouchement ce que l'entourage fait pour le post-partum: nier l'ambivalence que peut éprouver la femme venant d'enfanter.  Et déesse sait comme je suis favorable à la reconnaissance et au soutien de la femme face à cette ambivalence.

    Autre question qui me taraude: en quoi serait-ce honteux de reconnaître que l'accouchement fait mal?  Après tout, une migraine fait mal à la tête et les personnes dans la majorité reconnaissent leurs maux de tête.  Lors d'une angine, on reconnaît facilement avoir mal à la gorge.  Le passage d'un bébé au travers de notre corps de femme, ce n'est pas rien.  Lorsque l'on voit le processus, il n'est rien d'étonnant que la femme éprouve de la douleur, me semble-t-il.

    Ne pas savoir que cela peut faire mal peut, au contraire, accentuer la douleur en raison de l'anxiété que l'ignorance induit.  A mon humble échelle, je peux donner mon expérience de mon opération des yeux subie il y a bien 7-8 ans.  Après celle-ci, j'ai ressenti de la douleur comme si du sable irritait constamment mes yeux.  Lorsque je suis sortie du laboratoire, cela ressemblait à de simples picotements désagréables. 

    Cependant, à mesure que l'anesthésie locale se dissipait, la douleur s'intensifiait.  Tellement qu'à un moment, j'ai émis des doutes sur la "normalité" de ma douleur.  Le chirurgien ne m'avait pas parlé d'une douleur plus sourde, plus lourde que cela.  Mon homme s'est démené pour obtenir un membre du personnel soignant au bout du fil.  J'ai dormi toute l'après-midi, afin de laisser passer la tempête.  En fin de journée, quelqu'un rassura mon cher et tendre au téléphone.  C'était normal et cela allait passer. Moi, avant de m'endormir, je le suppliais de demander si c'était normal ou si nous devions d'urgence retourner à l'hôpital.  Il est évident que si j'avais été prévenue que les douleurs pouvaient devenir intensives, je me serais épargnée toute mon inquiétude quant à savoir si celles-ci traduisaient les suites logiques de mon opération ou si, au contraire, elles exprimaient un problème post-opératoire.

    De même, à force d'avoir lu des témoignages sur l'accouchement (une de mes manières de ma préparer à mon 1er accouchement), j'ai, certes, été surprise de l'ampleur des contractions, mais j'étais préparée au fait que cette ampleur pouvait arriver.  A aucun moment, je ne me suis dit que ce n'était pas "normal" d'avoir si mal.  Je savais qu'enfanter pouvait impliquer des douleurs atroces.  ET je savais aussi que la douleur est une perception et qu'il existe des méthodes propres à chaque personne pour atténuer la douleur.  L'accueillir, l'accompagner et la laisser partir, par exemple.  Bouger.  Changer de position.  Prendre un bain.  Chanter.  Etc.  A chaque femme ses techniques.   Elles sont plus efficaces pour atténuer la sensation de douleur inhérente, à mon sens, à l'accouchement, plutôt que de déployer de l'énergie pour lutter constamment lutter contre (j'ai accouché par deux fois dans cette posture, de lutte contre la douleur.  Et ça va, je suis vivante, et prête à retraverser cela une 3ème fois le temps voulu.  Amazone, même dans l'enfantement..he [1] ), ou de se poser constamment si elle est normale, ou de se demander constamment si ce ne serait pas mieux de prendre la péridurale.

    Accepter l'existence de la douleur, c'est la replacer à sa juste place.  J'aime cette image et interrogation de Stéphanie Saint-Amand [2].  Les sportifs et sportives peuvent ressentir de la douleur due à l'entraînement sportif.  Celui-ci induirait une "bonne douleur", puisqu'elle a du sens (des exploits sportifs)[1].  A l'opposé, la culture de notre société ôte tout sens à la douleur d'un accouchement.

    En résumé, je suis favorable à une société qui accepte l'idée qu'un accouchement soit douloureux; cette société reconnaîtrait que cette douleur est physiologique et acceptable ET qu'il existe des solutions parfois simples pour qu'elles restent tolérables pour toutes les femmes amenées à les éprouver.  De fait, je m'interroge sur le discours tendant à nier la douleur des accouchement.  Lorsqu'on me dit que certaines sociétés ne véhiculent pas l'idée que l'accouchement fait mal, et du coup, les femmes qui accouchent n'ont pas mal.  J'ai tendance à penser autrement (mais je ne fourvoie peut-être totalement; je ne peux prétendre avoir raison. Je n'en sais rien). 

    Peut-être que dans ces sociétés, la douleur de l'accouchement n'est pas  négativement perçue, de sorte qu'il n'est pas fait tout un foin autour de celle-ci. La femme qui y accouche ressent de la douleur, mais cette dernière est naturellement intégrée, comprise et considérée comme normale.  D'où cette idée que l'accouchement ne fait pas mal, parce que "ce mal" ne mérite pas qu'on en débatte, et surtout pas que l'on vise à l'annihiler (par la péridurale, par exemple).

     

     

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    (1) Très honnêtement, je peine encore à être dans l'acceptation du sens de la douleur de l'accouchement.  Ce qui, en somme, est pleinement cohérent avec ma vision de la vie. Après de longues réflexions, j'en suis arrivée à la conclusion que la vie des hommes n'a pas de sens.  Elle n'a aucun sens. Ma vie n'a aucun sens.  Pas plus que la vôtre ou que celle de votre voisin-e, que le Président des États-Unis.  A défaut de voir un sens à la vie, puisque nous, êtres humains, sommes bien dérisoires par rapport à l'existence du monde, j'en suis arrivée à la conclusion que le seul sens qui soit acceptable est simplement que notre présence sur Terre est un accident.  Et quitte à être un accident, autant que notre existence sur Terre nous apporte du plaisir et du bonheur.

    Pour en revenir sur le sens de la douleur de l'accouchement, lors de mes deux expériences, déesse que j'ai pesté!  Que les personnes qui défendent l'idée que la nature est bien faite, qu'il convient de lui faire confiance, que le Créateur/la Créatrice, que Dame Nature, l'Univers, etc.  a bien bâti l'homme et la femme...Il n'empêche, pourquoi, si cette force qui a créé la vie est tellement douée, pourquoi a-t-elle fait que cela soit quand même douloureux d'accoucher?  Elle aurait pu aller jusqu'au bout de la physiologie et prévoir un processus plus puissant pour annihiler la douleur, non?

    éphanie Sain

     

     

    (2)Stéphanie Saint-Amand a rédigé une thèse de doctorat sur l'accouchement.  Il y est question de la douleur et des réponses médicales à celle-ci: DÉCONSTRUIRE L’ACCOUCHEMENT : ÉPISTÉMOLOGIE DE LA NAISSANCE, ENTRE EXPÉRIENCE FÉMININE, PHÉNOMÈNE BIOLOGIQUE ET PRAXIS TECHNOMÉDICALE 

     

     

     

     

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