• 3 avril '14 - Du champ des Cailles au Chant des Cailles, une spirale vertueuse

    Je lisais hier et ce matin deux articles dans le numéro de janvier de S!lence emprunté à ma bibliothèque (j'en parlais ici).  J'y découvrais deux initiatives particulièrement positives: Le jardin des Vertueux et l'association Gaïa qui organise le Festival des Vers solidaires.

    Le terme "vertueux" décrit parfaitement la dynamique qui naît grâce au champ et au Chant des Cailles.  A partir de ce terrain s'est amorcé un cercle vertueux incroyable.

    "Le nom de 'Jardin des vertueux' vient de l'idée des cercles vertueux.  Le premier cercle a été réalisé pour l'achat collectif puisqu'il a permis de mettre en relations 70 structures différentes.  Le deuxième cercle vertueux est que le jardin peut être reproduit ailleurs; de nombreuses demandes arrivent pour savoir comment il s'est mis en place.

    Pascal Goujon raconte notamment que, pour arriver sur le site, l'ânesse a fait le trajet depuis Abbeville, à 50 km de là,  pied.  Le passage dans les différents villages a permis de dialoguer avec de nombreux élus intéressés par cette expérience.  Pascal Goujon les a incités à mettre des terrains disponibles à disposition des candidats au maraîchage. 

    Le débroussaillage a été fait avec l'aide d'un ami venu avec son cheval.  Ce fut l'occasion d'un reportage télévisé qui a fait connaître le projet, alors à son démarrage.

    Le troisième cercle vertueux est celui de la vente des légumes en circuit ultracourt: cela fait réfléchir à nos habitudes d'achat pour les produits alimentaires.

    Le quatrième cercle vertueux est que le jardin est un outil pour différents types de structure de réinsertion afin de 'permettre à des personnes laissées sur le quai de remonter dans le train'.

    Depuis le lancement du Jardin des Vertueux, la mairie d'Amiens a ouvert 7000 m2 de jardins solidaires pour les bénéficiaires des minimas sociaux.  Pascal Goujon a été sollicité pour des tâches d'encadrement."

    Quant au Festival des vers,

    "Les animateurs de l'association [l'association Gaïa] sont très bien acceptés dans la commune car leurs parents y vivent, voire leurs grands-parents.  Cinq d'entre eux ont acheté collectivement, en 2012, d'anciens vergers abandonnés qui dépendaient de jardins ouvriers, liés à la verrerie.  [...]

    Le festival a été le lieu de lancement d'initiatives comme, cette année, l'annonce de la naissance de l'épicerie bio [...]."

     

    Il est évident que le Chant des Cailles génère une spirale vertueuse.  La preuve?

    Il s'agit d'une synergie entre plusieurs dynamiques distinctes ET liées.  Pensons à l'élevage de brebis pour le fromage.  Evoquons le maraîchage professionnel pour les légumes.  Mentionnons Anja, l'herboriste qui dispense ses nombreuses connaissances sur les herbes médicinales et la richesse de la nature via des cueillettes de plantes et fleurs sauvages comestibles.  Enfin, parlons du jardin collectif avec des jardiniers qui donnent un coup de main aux professionnels, qui participent et soutiennent les GASAP que ceux-ci développent, qui s'entraident, avec les conseils avisés des professionnels, pour produire leurs légumes ET pour tisser des liens dans la convivialité

    Le Chant des Cailles continue d'essaimer des graines d'espoir et de joie, dans le plaisir d'être ensemble et de construire des alternatives ensemble.

    Du Chant des Cailles est né Quartier durable Logis-Floréal, porté à la base par des jardiniers du Chant des Cailles, mais ouvert à des personnes qui n'en sont pas...Il s'agira notamment d'organiser des festivals, des sensibilisations, et de se réapproprier des parcelles abandonnées afin d'y planter des choux...

    Du Chant des Cailles s'élabore une réflexion très soutenue sur les constructions que la SLRB et la commune ont décidé d'ériger sur le champ, au lieu d'utiliser les sommes pour rénover en priorité les maisons vides (prochainement des photos de ce que deviennent les maisons qui étaient squattées).  Sur le sujet des maisons vides:  Boisfort: Droit au logement VS patrimoine?

    Le terrain sur lequel s'épanouit le champ et le Chant des Cailles appartient à la coopérative de logements sociaux Le Logis.  D'après mes renseignements, ce terrain avait été concédé au Logis par le CPAS de Bruxelles il y a plusieurs dizaines d'années, avec la contrainte dans la cession, que le terrain serve un jour pour y construire des logements sociaux.  A côté de ce champ, en pente, se trouve un autre terrain, le Petit Caille, comme on l'appelle, lequel appartient à la commune.  Nous avons donc deux propriétaires, la coopérative Le logis, soutenue par la SLRB (tutelle de la Région de Bruxelles-Capitale), et la commune (dirigée par un bourgmestre et un échevin de l'Energie, du Logement et de l'Informatique Ecolo (le bourgmestre et l'échevin) (récapitulatif très succinct dans ce document de la commune ici) qui décident d'allouer des sous dans la construction de nouveaux immeubles...qu'ils souhaitent écologiques dans un nouveau éco-quartier.  Première remarque, l'immeuble le plus écologique est d'abord l'immeuble qui n'existe pas.  Autrement dit, avant de vouloir ériger de nouveaux bâtiments, aussi écologiques soient-ils, il est plus judicieux et écologique de rénover ceux qui sont là.  La commune a entamé une concertation...Le compte-rendu officiel du premier atelier ici.

    Les jardiniers du Chant des Cailles y participent...Toutefois, je reste sceptique...et repense à ce qu'écrivaient Vidal Benchimol et Stéphanie Lemoine dans Vers un nouveau mode de ville:  

    "Ainsi, la concertation s'apparente souvent à un simple dispositif de communication et d'information.  On tient une réunion publique au cours de laquelle slides et films sont diffusés, on organise un vague débat, éventuellement suivi d'un apéritif, et l'on se félicite d'avoir œuvré à la démocratie locale quand on ne l'a pourtant que simulée.  Plus subtilement, certains maîtres d'ouvrage portent une attention toute particulière à l'open data, et proposent un accès libre aux données disponibles sur le projet, histoire de donner un peu de chair au fantasme contemporain de la 'ville 2.0' ". [p. 125]

    Si je suis circonspecte sur cette volonté de nouvelles constructions avant la rénovation des anciennes, mon oreille n'a pu échapper à l'appel subtil lancé par la commune pour que se développe un habitat groupé sur le Petit Caille...(une photo prochainement).

    Pour terminer sur la question des constructions sur le champ des Cailles, il me vient cette mise en garde lue dans la conclusion du livre Redéfinir la prospérité. Jalons pour un débat public (bouquin que je relis par extrait, tant il est percutant et complète la lecture sur la simplicité volontaire) :

    "Enfin, le troisième écueil consisterait à surestimer la force des initiatives citoyennes face à la survivance du système que l'on voudrait dépasser, au risque de les voir s'étouffer dans un environnement hostile.  D'où l'importance de leur fournir, par l'action collective et le soutien des pouvoirs publics, le terreau dans lequel elles pourront se déployer". (p. 277)

    En effet, dans la situation du Chant des Cailles, c'est le politique qui soit permet à l'action collective de se déployer, soit l'étouffe, à l'image de la réaction politique appuyée par un juge (expulsions à quelques jours du scrutin communal) face aux squatteurs des maisons du Floréal qui réclamaient l'application du droit au logement... 

    Et si l'action collective s'est mobilisée pour le champ, elle va au-delà via notamment Quartier Durable.  Et bien encore plus loin...  

    En effet, le champ des Cailles relève de la propriété du Logis, cela implique que le site est classé.  Il nous est par exemple interdit, sous réserve d'une autorisation très ardue à obtenir de la part des Monuments et sites, de modifier le relief: mare, constructions "dur" ainsi que...les arbres fruitiers. 

    Or, depuis quelques temps, mon homme souhaite cultiver davantage pour développer notre autonomie alimentaire.  Cela passe aussi par des fruits. Il a ainsi repéré un terrain à Hoeilaart.  Et de fil en aiguille, c'est un groupe, constitué majoritairement de jardiniers du Chant mais pas exclusivement, loin de là, qui se sont organisés afin de zieuter sur ce terrain agricole non constructible à la lisière de Bruxelles, situé à 30 minutes en vélo de Watermael.

    C'est à cette occasion que je découvre l'ampleur du phénomène.  Peu de terrains agricoles sont à vendre car leur valeur est moindre que le foncier à bâtir.  De sorte que les propriétaires des terrains agricoles n'attendent qu'une chose: que leur bien immobilier (un terrain étant par essence non-mobile, donc immobilier) devienne un jour constructible...Ce qui entraînera une envolée de leur valeur.  Ce phénomène de spéculation foncière, ce phénomène des pouvoirs publics d'urbaniser à tout va...Terre-en-vue ainsi que la Fédération Inter-Environnement Wallonie les décrivent avec acuité.  Terre-en-vue pose ainsi la question d'entrée de jeux:

    "Saviez-vous que chaque semaine, 43 fermes disparaissent en Belgique [1] ? et que 62 agriculteurs quittent la profession [2] ? Et que chaque année, 130 hectares de terres agricoles sont converties en terrains à bâtir [3] ?" [chiffres de 2012]

    Tandis que la Fédération Inter-environnement Wallonie constatait en 2008,

    "L’agriculture ne représente même pas 1,5% du PIB. Un hectare de terres est plus rentable, économiquement parlant, lorsqu’il est affecté à l’habitat ou à l’industrie, que lorsqu’il se contente de produire humblement céréales ou pommes de terres..."

    [...]

    Elle met en garde et conclut son article en ces termes:

    "Sous ces diverses pressions le prix des terres agricoles a grimpé [9]. Son prix au mètre carré n’en reste pas moins dérisoire en regard de l’importance de la production dont il est l’outil. La production alimentaire en effet répond à un besoin primordial. Qu’une part de la population soit en carence à cet égard et se poseront, outre la question éthique, de gros problèmes d’ordre public. L’indicateur majeur de nos économies, le PIB, indicateur purement quantitatif, ne traduit pas cette importance qualitative : l’agriculture n’en représente que 1,4% [10]. Mais le PIB n’est jamais qu’un compteur parmi d’autres sur le tableau de bord de la petite voiture de l’État. Si ceux qui sont au volant persistent à y garder les yeux fixés, négligeant de regarder la route devant nous au travers du pare-brise, nous pourrions bien nous trouver tous au fossé…"

     

    Désireux de pouvoir profiter d'un verger à quelques kilomètres de leur maison, près d'une vingtaine de personnes se sont regroupées pour acheter un terrain agricole.  

    Puisque le but de départ est clairement de préparer une transition vers moins de dépendance alimentaire, il nous paraît primordial, à notre couple ainsi qu'au premier cercle de connaissances et amis approché-e-s à cette fin, que le terrain soit encore accessible à vélo.  

     

     

     

     

     

    Une délégation du groupe s'est rendue à la vente aux enchères qui s'est déroulée ce mardi 1er avril.  Un voisin du terrain avait jeté son dévolu sur celui-ci, afin d'y mettre des chevaux.  Résultat, son enchère a excédé la limite que nous nous étions tous et toutes fixée. 

    Nous ne récolterons pas des pommes, abricots, prunes, cerises, etc. sur ce terrain...Mais la dynamique est lancée.  Comme je le disais à une jardinière particulièrement déçue: "nous avons reculé pour mieux sauter"...En moins d'une semaine, plus de 15 personnes se sont entendues pour acheter ensemble un bien en indivision.  Nous étions organisés, mais notre concertation s'est déroulée dans la précipitation vu le peu de délai...Maintenant que nous savons que l'envie existe, organisons-nous pour qu'elle se concrétise.

    Encore du collectif !

    C'est une réflexion qui me traverse régulièrement avec cette histoire de terrain.  C'est chouette, le collectif, mais dieu, c'est aussi fatigant.  Il faut des palabres, des négociations, des concessions...Pas toujours facile.  Des frustrations sont inévitables...Dans mon envie de départ, je voyais plutôt un petit groupe de propriétaires, moins de dix. Nous sommes loin du compte, étions près de vingt...Et avec la nouvelle, j'imagine que ce nombre va enfler...

    Et parce qu'il faut bien conclure...

    Quand on voit tout ce qui a été créé à partir du Chant des Cailles, grâce aux personnes, aux énergies et aux collaborations qui en ont émergé, je me demande dans quelle mesure les autorités n'ont pas intérêt à ce que cette convivialité-là ne naisse pas, du moins, qu'elle reste circonscrite à du pur jardinage et au plaisir de jardiner...

    En effet, j'ai l'impression que le groupe est traversé par le plaisir d'être et d'agir ensemble, ainsi que de se faire entendre ensemble, en tant que groupe (plus de 60 personnes).  L'énergie en œuvre me paraît particulièrement forte, si forte, que les autres, nos interlocuteurs, ne peuvent en faire fi et ne peuvent faire autrement que d'en tenir compte dans nos interpellations.

     

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