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[2011-12-15] Conférence-débat: au-delà des écoles actives
La Revue Politique a eu l'excellente idée d'organiser une conférence-débat le 7 décembre dernier, dont l'intitulé révèle déjà l'enjeu de la réflexion: "au-delà des écoles actives". Autrement dit, il ne suffit pas de vouloir créer des écoles étiquetées "actives", encore faut-il s'interroger sur "l'activité" que l'on veut favoriser.
Jacques Liesenborghs est l'animateur de la soirée. L'homme tient un blog sur le site de la revue Politique. Il y propose "[un]n regard critique et prospectif sur l’actualité de l’éducation, de la formation et de l’enseignement". Il introduit ainsi la soirée sur son constat concernant l’engouement pour les écoles à pédagogie alternative. Et également sur son étonnement de voir que les initiatives visent essentiellement le secondaire alors que la pénurie est avant tout criante pour le fondamental.
C'est Bernard Rey qui ouvre le bal. Il initie la réflexion en exposant la substance de son remarquable article dont j'ai touché un mot ici.
D'emblée, je préfère l'annoncer. J'ai trouvé l'allocution de Bernard Rey moins riche que son court article. L'ayant lu avant de l'avoir entendu, j'éprouve quelques difficultés à me contenter de rapporter son discours, tant celui-ci n'a pas rendu compte de certaines réflexions qui me paraissent pourtant au cœur d'un débat sur ce que "doit" être une école. J'invite donc tous ceux que ce sujet intéresse à se pencher sur l'intégralité de l'article en question (le texte est court mais riche en "matières à penser").
Le but de l'auteur/orateur est d'interroger sur "l'activité" d'une école active. Pour Bernard Rey, il est courant de constater une confusion entre "s'activer" et "s'agiter". Être actif n'emporte pas d'être agité. Pour ce professeur en science de l'éducation, être actif implique de prendre des initiatives intellectuelles dans les conquêtes des savoirs. Il s'agit pour la personne active d'être motivée et engagée. Et non pas de bouger dans tous les sens.
Ce premier préalable souligné, penchons-nous sur ce qu'implique d'"être actif". En réalité, Bernard Rey s'attache, tant dans son article que dans le compte-rendu oral de celui-ci, de dénoncer les pièges courants dans lesquels tout enseignant motivé à pratiquer une méthode active risque de tomber s'il n'y prend pas garde. Il dénombre trois écueils.
La première embûche concerne la mise en projet. Le travail par projet est à la mode. Il est intéressant car il permet d'accéder à des savoirs non-scolaires. Dans la pédagogie Freinet, la réalisation de projet conduit les enfants à vouloir acquérir certaines compétences pour mener à bien leur entreprise. Or l'un des pièges serait d'enjoindre les enfants à travailler en projet sans s'assurer que chacun puisse améliorer certaines compétences. Le but de la mise en projet n'est pas rencontré si les élèves se contentent de choisir des activités qui mobilisent des compétences qu'ils ont déjà. Ex: c'est le plus "doué" en rédaction qui écrit, le plus "doué" à l'oral qui expose, etc. Dans un tel scénario, l'on quitte la logique d'apprentissage en faveur d'une logique productive (il s'agit de "produire" un "bon" projet).
Le second piège vise l'observation, chère à la pédagogie Decroly. Il serait insidieux de croire que l'observation, ou le constat de la réalité, ne doit pas être fin d'apprentissage en soi. Les savoirs ne naissent pas tant de l'observation en soi. Inviter ses élèves à observer sans "préparer" cette activité n'a aucun sens. L'intérêt du savoir ne consiste pas à connaître beaucoup de faits physiques, historiques, sociaux, géographiques, etc. L'intérêt essentiel du savoir réside dans la mise en interrogation. Dans l'ordre, une activité d'observation devrait traverser trois étapes:
1) se poser des questions (ex: les objets tombent-ils tous au sol?);
2) émettre des hypothèses (ex: oui, tous les objets tombent par terre);
3) observer (ex: les objets tombent effectivement; quid du ballon qui s'envole)
Bernard Rey a néanmoins pensé à certains objets, comme les ballons, qui, eux, ne tombent pas, mais s'envolent...Evidemment une dernière étape consiste à confronter ce que l'on pensait (son hypothèse) à ce que l'on observe. Une des composantes de l'activité intellectuelle est peut-être ce qui est la plus déroutante : accepter d'être remué dans ses convictions, dans ses croyances.
Enfin, le troisième écueil concerne la difficulté de transmettre ce qui est en jeu, autrement dit, à faire comprendre aux élèves le sens "second" de l'activité. Les enjeux de l'apprentissage, de l'activité doivent être visibles, compréhensibles pour les élèves. A défaut, ceux-ci risquent, s'ils n'ont pas appris à décoder le but véritable d'un apprentissage, de croire que l'important est de tracer de beaux cercles au tableau, d'entourer de manière propre et dans la couleur appropriée le verbe d'une phrase, sans comprendre que le but de la leçon est de savoir que la circonférence d'un cercle est faite de points situés à équidistance d'un centre ou que les verbes se conjuguent en concordance avec un sujet. Les élèves peu outillés pour décoder le sens "second" d'une activité risquent de s'en tenir aux consignes premières: bien faire, écouter le professeur, bien travailler...
Un des orateurs, était-ce Bernard Rey ou un autre ?, rapporte cette anecdote: devant une mauvaise note en rédaction de son petit-fils, un grand-père punit ce dernier en l'obligeant à recopier l'intégralité d'un roman. Manifestement, l'aïeul s'en était tenu à l'activité première de l'écriture sans comprendre la finalité d'une leçon d'expression écrite...Si l'enfant n'est pas aidé à la maison, il risque de ne pas comprendre à décrypter ce sens "caché" de l'apprentissage. Il est donc important que l'enseignant veille à instaurer une sorte de rituel: d'encourager les enfants à régulièrement s'interroger : pourquoi est-on en train de faire cela?
Il s'agit de transmettre aux jeunes que l'école n'est pas là pour que l'enfant apprenne une somme de choses, mais qu'elle vise à promouvoir sa compréhension du monde, sa puissance à agir sur lui. Elle doit permettre au jeune à grandir, à devenir de plus en plus intelligent (sic), pour valoriser l'individu.
Pour Bernard Rey, la mixité passe, pas tant par une hétérogénéité sociale des écoles, que par un effort pour donner la possibilité à tous les publics d'entrer dans une dynamique de conquête de savoirs, pour s'affranchir d'une attitude de soumission (faire une chose parce qu'on me l'a demandé).
Les enjeux sont énormes. Je ne peux m'empêcher de retranscrire ici la conclusion de l'article de ce chercheur:
Être en activité n’a jamais été une valeur en soi. Par rapport à la fonction d’une école, il peut y avoir de bonnes activités et d’autres qui sont inutiles, voire néfastes. Deux principes doivent permettre de faire la différence.
Le premier est que les activités scolaires (à la différence des activités extérieures à l’école) n’ont pas d’autre but que de construire l’humain. En ce sens elles ne « servent » à rien au sens ordinaire du terme. Même dans le cadre d’une pédagogie de projet, c’est l’apprentissage qui doit primer. Une école « active » est celle qui arrive à ritualiser suffisamment les situations pour que tous les élèves le comprennent et s’estiment dignes des efforts à faire pour se construire eux-mêmes.
Le deuxième principe est que les activités qui visent cette construction de soi-même ne consistent pas à accumuler des informations sur la réalité. Elles doivent conduire plutôt à s’interroger sur la réalité, à s’interroger sur ses propres opinions et ainsi à prendre confiance dans sa propre raison. L’enjeu est qu’on passe de « les choses sont ainsi » à « mais pourquoi sont-elles ainsi ? Puis-je contribuer à les changer ? ». Les implications pour la construction d’une citoyenneté active sont évidentes.
A la suite de Bernard Rey, ce sont Noëlle De Smet (Changements pour l’égalité) et Guy Pirard (militant des écoles alternatives [Snark] et ancien préfet de l’Athénée Charles Janssens) qui ont pris la parole.Mes notes concernant ces deux orateurs sont beaucoup plus éparses, et pas du tout articulées (tout comme celles pour Bernard Rey, mais pour ce dernier, la lecture de son article m’avait beaucoup soutenue pour le suivre facilement). Du coup, je me contenterai de rapporter ici quelques idées-phares de leur intervention.
Noëlle De Smet jouit d'une expérience riche et longue dans les quartiers défavorisés de Bruxelles (elle habite et travaille/a travaillé ? à Molenbeek). Son exposé se penche donc naturellement sur la question de la mixité sociale. C'est là une de mes surprises de cette soirée: il y est accordé une très grande place au sujet de la mixité sociale. J'en suis étonnée car il est vrai qu'à l'heure actuelle, le public des écoles à pédagogie active s'approvisionne plutôt parmi les classes aisées. Comme si l'école concernait tout le monde, mais « l'école active », elle, était réservée à une frange nantie de la population...aux antipodes des origines des pédagogies alternatives comme Freinet et Montessori, initialement adressées aux enfants déshérités.
Noëlle De Smet, Présidente de CGé et membre du comité de rédaction de notre revue TRACeS de changement, a souligné une inégalité de départ: les milieux populaires sont porteurs d'images/de sens différents du langage à l'école, cette institution où les exigences linguistiques mais également les codes et les usages ont été établis par les milieux sociaux moyens, pour ne pas dire aisés.
S'agissant de la mixité sociale, il semble que les orateurs soient d'accord pour s'interroger sur l'existence réelle d'écoles mixtes. Autant, il est rare de trouver des élèves issus de milieux socioéconomiques faibles dans des écoles à Uccle, autant il est aussi exceptionnel de découvrir des élèves socio-économiquement favorisés dans des établissements de Molenbeek... Les trois orateurs s'interrogeaient sur la pertinence de vouloir forcer la mixité sociale dans les écoles tel que l'enjoint le décret mixité. Noëlle De Smet formulera ce slogan : des moyens forts pour les faibles !
L’oratrice met l’accent sur les liens positifs à établir entre les parents et l’école, afin, notamment, que l’enfant ne se trouve pas prisonnier d’un conflit de loyauté, entre des parents eux-mêmes en conflit avec l’école en raison de leur propre histoire et les enseignants. Il est aussi essentiel pour le personnel enseignant de collaborer avec des associations de quartier où les parents s’y sentent peut-être plus à l’aise. Le personnel qui y travaille connait d’autres réalités de ces adultes.
Une autre surprise lors de la soirée sera la place accordée à l’horaire des enseignants. Autant j’étais sensibilisée au sujet du temps scolaire versus enfant, autant je n’avais jamais vraiment réfléchi à l’horaire scolaire versus enseignant. Pour Noëlle De Smet, par exemple, il est essentiel que les enseignants rencontrent souvent les parents et les milieux associatifs locaux. Ces réunions devraient compter comme du temps de travail. Il est proposé de généraliser la présence des professeurs à l’école (les 35 heures à l’école). Ce temps permettrait d’organiser régulièrement ces fameuses rencontres avec parents et autres acteurs locaux.
La Molenbeekoise énumère également parmi les conditions essentielles pour une (bonne ?) école : une équipe stable. L’oratrice insiste également sur la nécessité d’instaurer un tronc commun jusque 16 ans. Elle propose aussi que l’école soit un laboratoire social sur le changement. Elle invite les équipes universitaires de suivre des initiatives de terrain pour en rendre compte d’un point de vue scientifique.
Guy Pirard, quant à lui, considère qu’il est essentiel de détecter TÔT tout écueil à l’apprentissage, autrement dit, il convient de renforcer l’encadrement en maternel et en primaire. L’ancien préfet revient également sur le temps scolaire et mentionne ces initiatives qui visent à réduire les cours de 5 minutes (45’ au lieu de 50’). Le temps gagné sert à des sessions de remédiation. Pour plus d’infos, voy. ici et ici.
Le dernier orateur de la soirée recommande également une bonne ambiance d’écoute, rappelant l’intérêt pour un apprentissage serein d’un climat affectivement stable.
De surcroît, se voir octroyer un bon horaire est non négligeable pour un enseignant. Ce dernier doit évidemment être compétent sur la matière mais également en termes de discipline, autrement dit, Guy Pirard conseille aux jeunes professeurs de s’intéresser aux règlements d’ordre intérieur ainsi qu’aux usages, parfois inscrits nulle part. L’homme plaide pour voir se généraliser le coaching des enseignants novices par des expérimentés ainsi que les groupes de paroles entre pairs.
Enfin, le débat qui a suivi l’exposé des trois invités ne m’a pas laissé de grands souvenirs, du moins, de grandes idées à retenir. Je suis sortie de cette conférence-débat avec un sentiment mitigé. Je pense que c’est parce que mes attentes n’ont pas été rencontrées.
Au final, à part Bernard Rey qui a parlé des écueils que peuvent rencontrer un maître non formé aux pédagogies actives, il a été très peu question des pédagogies alternatives. Même si les questions du public y revenaient, les réponses ne m’ont pas apporté de nouvelles connaissances. J’ai trouvé que le débat n’y était pas. J’ai également l’impression que le public était surtout constitué d’acteurs de l’enseignement. En fait, je me faisais l’effet d’un cheveu dans la soupe parmi ce petit monde où beaucoup se connaissaient déjà. Il y avait dans la salle une forte délégation de l’Autre Ecole, et je sais que d’autres écoles à pédagogie alternative étaient représentées. Mais quid de l’intérêt des parents ?
Enfin, je dois l’avouer, je suis davantage mue par l’envie de connaître les initiatives tentées, mises en place, en cours. Je souhaite connaître les obstacles rencontrés, les arguments des autorités. Comment initier des changements dans les écoles « classiques » ?, quelles sont les réticences des acteurs (enseignants, directeurs, pouvoirs organisateurs, ministre ) ?, etc. sont autant de questions qui n’ont pas trouvé de réponses. Je pense qu’au-delà de la réflexion, je suis maintenant dans une énergie d’action…
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Tags : école, pédagogies alternatives, école active, bernard rey, jacques liesenborghs, noëlle de smet, guy pirard
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Commentaires
J'ai eu Bernard Rey comme prof pendant mon agrégation à l'ULB et je garde un excellent souvenir de ses cours, toujours clairs, clairement structurés. (Ca n'a rien à voir avec ton article, mais j'ai buté sur le nom, je me suis dit, tiens ça me rappelle quelqu'un ... et j'ai googlé son nom).