• [2012-10-25] Kokopelli a perdu devant la Cour de justice de l'Union européenne

    J'ai vu cet avertissement de Kokopelli passer sur fb:

    ATTENTION : Les pétitions de soutien à Kokopelli, qui circulent sur internet, ne sont pas de notre initiative et leurs attendus sont erronés. Nous remercions toutes celles et ceux qui les ont signées. Pour le moment, le meilleur moyen de nous soutenir est de prendre ou de renouveler votre adhésion !

     

    Cela m'a donné envie d'approfondir la question d'un point de vue juridique. Il me tardait de lire l'arrêt (en fait, non, pas tellement envie de le lire; par contre, je l'ai parcouru en diagonale.  C'est ici.  Le communiqué de presse ici).

    Alors, franchement, je n'ai pas eu facile.  Le seul article d'un blog/site juridique que j'ai trouvé est celui de Dominique Augilar, docteur en droit : Eurogersinfo.

    L'article juridique est long (ce qui, moi, m'arrange car cela implique souvent que le commentaire est plus détaillé).  Vous pouvez le lire à cette adresse-ci.

    Ici, je me permets de mettre des extraits que je trouve particulièrement pertinents.  Les dernières phrases que j'ai mises en orange méritent d'être suivies.

    [...]

    Mais selon l'association Kokopelli, les critères retenus conduisent à exclure des catalogues des semences qui représentent un patrimoine précieux en voie de disparition, comme si elles constituaient un danger pour les consommateurs (3). En réalité, souligne l'association, le seul danger est celui "de l’autonomie que ces semences non hybrides, par leur reproductibilité naturelle, procurent aux paysans, des bénéfices que ceux-ci pourraient y trouver, et, en conséquence, des parts de marché qu’elles pourraient faire perdre à ceux qui bénéficient du monopole que leur confère le Catalogue Officiel". On ne peut lui donner tort car l'argument qui fonde la réglementation européenne est celui, non de la sécurité alimentaire, ou de la santé, (qui pourraient expliquer des restrictions à la libre circulation et à la commercialisation) mais bien de la productivité : les considérants 2 à 4 de la directive 2002/55 affirment sans ambiguïté que l’objectif premier des règles relatives à l’admission des semences des variétés de légumes consiste à améliorer la productivité des cultures de légumes dans l’Union. Dans cette optique, l'inscription sur un catalogue officiel "permet l’utilisation de semences appropriées et, par conséquent, une productivité accrue de l’agriculture, fondée sur la fiabilité des caractéristiques desdites semences" (considérant 45 de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne).

    Les objectifs de création d'un marché intérieur des semences de légumes en assurant leur libre circulation dans l’Union et de conservation des ressources génétiques des plantes, viennent après l'objectif de productivité, et dans cet ordre.

    [...]


    Dans l'examen du caractère "proportionné" de la mesure à l'objectif de rendement des cultures (qui est on l'a vu l'objectif premier avant la libre circulation et la préservation de la diversité des variétés), le juge communautaire tient compte du pouvoir d'appréciation dont dispose le législateur communautaire lorsqu'il vote un texte. Or, dans le domaine de la Politique agricole commune, le législateur européen a un large pouvoir d’appréciation : "Dans ces circonstances, et notamment eu égard au large pouvoir d’appréciation dont dispose le législateur de l’Union dans le domaine de la politique agricole commune, impliquant des choix de nature économique dans lesquels il est appelé à effectuer des appréciations et des évaluations complexes, ce législateur pouvait légitimement considérer que d’autres mesures, telles que l’étiquetage, ne permettraient pas de parvenir au même résultat que celui auquel aboutit une réglementation, telle que celle en cause, qui établit un régime d’admission préalable des semences de variétés de légumes, et que celle-ci était, dès lors, appropriée au regard des objectifs que ledit législateur entend poursuivre" estime la Cour (considérant 59) qui poursuit: "En effet, une mesure moins contraignante, telle que l’étiquetage, ne constituerait pas un moyen aussi efficace puisqu’elle permettrait la vente et, par voie de conséquence, la mise en terre de semences potentiellement nuisibles ou ne permettant pas une production agricole optimale. Il s’ensuit que la réglementation litigieuse ne saurait être regardée comme étant manifestement inappropriée au regard desdits objectifs" (considérant 60).

    [...]


    Les autres griefs sont également balayés par le juge communautaire: les directives communautaires ne violent ni les principes d’égalité de traitement, de libre exercice d’une activité économique et de libre circulation des marchandises, ni les engagements pris par l’Union aux termes du TIRPAA. Pour rejeter ce dernier moyen, la Cour constate que "dans ledit traité ne figure aucune disposition qui serait, du point de vue de son contenu, inconditionnelle et suffisamment précise pour mettre en cause la validité des directives 2002/55 et 2009/145". Il est ironique de constater que la Cour suit en cela les conclusions présentées par son avocat général, le 19/01/2012, alors qu'elle les a superbement ignorées sur le point essentiel objet du litige (7).

    [... ]

    On l'a vu, la Cour a consacré une toute autre analyse, sans avoir la franchise de son avocat général qui avait clairement rappelé qu'un des enjeux de la décision à prendre était la protection des intérêts des semenciers. Certes, la Cour n'est pas obligée de suivre les conclusions de son avocat général qui lui propose seulement une solution juridique. Mais au vu de la divergence radicale d'analyse, on peut s'interroger sur les pressions exercées par les lobbies des semenciers. D'autant que l'arrêt de la Cour affirme que toute variété qui n'est pas distincte, stable et homogène est "potentiellement nuisible" ce que conteste Kokopelli qui met en cause la validité des critères établis par la directive 2002/55, objection qui avait été prise en compte par l'avocat général. La Cour, pour sa part, n'en a pas eu cure. Bien plus, elle semble par ces quelques mots se rallier à une conception problématique, car reposant sur un jugement de valeur négatif sur toutes les variétés anciennes non inscrites dans un catalogue au terme d'un glissement assez étrange puisque l'arrêt jusque là centré que la question de la fiabilité d'une semence au regard de l'objectif de productivité, introduit tout d'un coup de manière incidente l'hypothèse de son caractère nuisible, ce qui suggère un risque au demeurant non caractérisé (pour la santé humaine? pour l'environnement?...).

    On peut souçonner la Cour d'avoir été sensible aux sitrènes des semenciers. On peut aussi remarquer que les juges s'en sont tenus à une application littérale des texte, notamment en ce qui concerne les fameuses trois conditions qui déterminent l'admissibilité d'une variété. Autant dire, alors, que ces textes doivent être revus. C'est précisément ce qui est à l'étude actuellement, la Commission européenne préparant un projet de réforme de la réglementation sur les semences, ce qui englobe aussi la question des brevets déposés sur les semences. Les défenseurs de la libre utilisation et circulation des semences traditionnelles appellent les citoyens à se mobiliser. Ils ont raison, car les industries, elles, sont mobilisées. Peut-être est-ce aussi l'occasion de lancer une initiative citoyenne pour garantir plus efficacement les droits des paysans, des jardiniers amateurs ou non, d'utiliser, d'échanger et de protéger leurs semences et d'empêcher quelques groupes de mettre la main sur la biodiversité (8). Vaste et difficile combat. Mais la maitrise et la diversité de notre alimentation en est l'enjeu.

    A bon entendeur...!

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