• 21 novembre '14 - J'ai battu ma fille, et mon fils aussi

    Dans une magnifique chanson, Linda Lemay dont les textes m'émeuvent beaucoup traduit le désarroi d'une mère qui gifle sa fille.  "Je hurle comme une folle.  Qu'elle me laisse donc tranquille"...J'ai repensé à cette chanson il y a quelques semaines quand, sans crier gare, sans énervement exprimé, quand, dans un calme apparent, j'ai levé la main sur ma fille.  Comme très souvent en ce moment, celle-ci ne voulait pas obtempérer.  Pourquoi étais-je contrariée?  Je ne le sais même plus. Peut-être était-ce une histoire de chaussettes qu'elle ôte de manière systématique, ou peut-être était-ce son manteau qu'elle ne voulait pas mettre alors que nous devions partir...

    Mon homme n'en pouvait plus.  Moi, j'étais excédée.  J'étais d'humeur terriblement excédée.  Ma fille se dérobait pour la millième fois quand "mon bras s'envole" non pas sur sa peau mais sur sa cuisse.  Pas une fessée, j'aurais utilisé le mot "tapette" si je n'avais lu l'article de l'elfe sur les Questions composent qui dénonce ce vocabulaire qui "euphémisme" la violence des gestes.   Très mesurée et contenue mais franche et nette.  Ma claque sur sa cuisse a fait l'effet d'une bombe.  

    Ma fille a pleuré.  M'a hurlé que je ne pouvais pas, sitôt rejointe par son frère venu à la rescousse de sa sœur.   Elle et lui se sont mis à me frapper à leur tour, en guise de protestation de mon geste.  Et je n'avais même pas honte.  J'étais là, à me trouver des excuses et aussi à ne pas trop comprendre pourquoi je n'étais pas dans un état d'énervement avancé.  En fait, je n'étais pas énervée.  J'étais excédée, et fatiguée.  J'en avais ras-le-bol. J'aurais voulu tout envoyer promener.  J'étais en mode "fonctionnement", je subissais. 

    Évidemment, je me suis empressée de demander pardon, de bien appuyer le propos de mes chérubins qui m'affirmaient, comme je le leur avais appris du reste, qu'effectivement, je ne pouvais pas frapper. Et chaque fois que je me retrouve à demander pardon à mes enfants, je ne peux m'empêcher de penser à ces adultes qui se montrent doux comme des agneaux après avoir violé ou frappé leurs enfants ou leur épouse.  Ces hommes ou ces femmes dont je juge les actes hautement plus dangereux et plus violents que les miens, certain-es respirent certainement la même sincérité et le même désir de repentir, de volonté d'effacer le geste.  Qu'est-ce qui me distingue d'elles et eux?  "Moi qui jetais le blâme sur ces idiots en rogne qui disent aimer leur femme et qui du même coup la cognent"

    Toujours est-il que cet événement m'a suffisamment frappée pour qu'il déclenche chez moi une réflexion sur les raisons qui amènent un parent à élever la main sur son enfant. 

    Il y a trois jours, ce fut pire.  Alors que nous dormions, nous fûmes réveillés en sursaut par mon petit chéri qui s'installa dans notre lit (ce qu'il avait fait pendant plusieurs nuits précédentes en raison de cauchemars et de place, vu que mon homme s'était quelques fois réfugiés au grenier pour dormir sans être réveillé).  Sans réfléchir, encore endormi-es dans un 1er temps, mon  homme et moi qui nous sommes légué-es pour renvoyer notre fils dans son lit dans une ambiance pleine de violence.  Lorsque mon fils resta muet, puis parti dans une crise de nerfs, nos esprits se sont un peu réveillés, et nous avons appliqué des méthodes détestables.  La violence s'était invitée dans notre chambre.  Elle était physique (maintien ferme, claquettes sur les joues - on pensait à un état de terreur nocturne - ) mais surtout psychologique (menace de gifles).  Lorsque Fiston s'est réfugié dans son lit, en pleur, la honte nous a submergé-es.  J'ai de nouveau pensé à ses bourreaux qui demandaient pardon lorsque, à plusieurs reprises, j'ai tenté de renouer le contact avec mon petit chéri.  Je tenais à ce qu'il sache combien il était en droit d'être en colère et de nous rejeter, qu'il sache aussi que nous avions complètement dérapé. 

    Cet épisode m'incite à m'interroger sur les facteurs qui conduisent des parents à dégénérer.  Ces temps-ci, beaucoup de nos résolutions sur l'éducation bienveillante sommeillent au placard.  Les menaces et chantages ont surgi, et ce, au quotidien avec ma fille.

    Les parents parfaits sont ceux qui n'ont pas d'enfant.  Pour notre part, il est certain que notre capacité à appliquer une éducation positive et bienveillante s'est dégradée à mesure que notre fils grandissait.  La naissance d'une deuxième enfant fut également accompagnée d'une envie jusqu'alors inédite.  Certes, j'avais déjà vécu un sentiment de ras-le-bol vis-à-vis de mon fils, mais j'ai mesuré la violence qui germait en moi lorsque mon fils risquait de réveiller sa petite sœur, alors nourrisson.   Mes 1ères envies fortes d'infanticide sont apparues.  J'avais envie qu'il cesse de jouer, de crier ou de pleurer.  Et plus je voulais qu'il cesse, plus il faisait du bruit.  C'était infernal, je sentais monter en moi des envies d'une violence inouïe. 

    Avec les enfants, le plus dur, je commence à le comprendre, est de surmonter la frustration.  La frustration de manque de temps, la frustration de ne pas disposer de son temps comme je l'entends, la frustration de ne pas pouvoir démissionner, abandonner cet état (je suis maman et le resterai toute ma vie, quoi qu'il arrive). 

    C'est dire comme j'ai été marquée par cet extrait d'une interview de Jacques Lecomte dans Les Grands dossiers des Sciences Humaines n° 35, de juin-juillet-août 2014 (p. 29).  Ce numéro est consacré au Bonheur:

    Est-ce qu'avoir des enfants rend heureux à coup sûr?

    Nous abordons ce qu'on appelle le paradoxe de la parentalité.  Quand on demande aux gens si le fait d'avoir des enfants les rend heureux, ils répondent oui.  Mais des études convergentes sur les différents niveaux de bonheur montrent que des résultats plus surprenants. Les gens les plus heureux sont en couple...mais sans enfant.  Les plus heureux sont mariés sans enfant, ensuite viennent les concubins, et ensuite seulement les couples avec enfants, devant les solitaires qui n'ont pas choisi de vivre seuls.  Que peut-on en conclure?  Que les enfants donnent du sens à la vie, mais peuvent rendre le quotidien difficile.  La satisfaction du couple rebondit d'ailleurs de façon spectaculaire après le départ des enfants!   Quelques parents souffrent du nid vide, mais la majorité soufflent un pue, en savourant d'avoir réussi à élever leurs enfants.  En plus, les crises de l'adolescence sont finies...Les relations conjugales se resolidifient.  Au final, oui, avec des enfants, on est heureux, mais pas de la même manière.

    Je me retrouve complètement dans ce constat.  Sans enfant, je n'aurais pas été pleinement satisfaite.  Il m'aurait manqué ces vies pour me sentir en accord avec mon projet de vie. Mais, avec mes enfants, je dois faire l'impasse sur tellement de possibilités, dont la liberté, que je suis constamment habitée par un sentiment tenace de frustration.  Et celui demeure bien que nous avons réussi à mettre en place un dispositif pour bénéficier d'un relais structurel 1 we sur 2.  Mais, que je rêve de pouvoir vivre 1 semaine sans enfant, pour voir, pour regoûter à ce semblant de liberté !

    Ces considérations, a priori éloignées de mon sujet de départ, ne sont pourtant pas sans lien.  Si la frustration, l'exaspération ou/et parfois la fatigue règnent dans certaines maisons, je comprends mieux, alors que jusqu'il y a peu je refusais de comprendre, comment certains adultes en viennent à battre leur(s) enfant(s).  Pourtant, il est évident pour tout le monde que ce n'est pas à eux ni elles à subir cette frustration ou exaspération ou fatigue, du moins, pas sous cette forme.

    Je reste convaincue que la violence ordinaire est insoutenable.  Quelle que soit les justifications que les adultes pourront avancer.  Alors, même si la loi ne résout pas tout.  Le fait que la Loi interdise les châtiments corporels a une valeur, d'abord symbolique, puis, je l'espère qu'à l'instar de l'exemple finlandais, pratique et éducative.

    Je vous invite donc de signer cette pétition visant à promouvoir l'éducation non-violente en inscrivant dans la Loi l'interdiction des châtiments corporels. La pétition que vous pouvez signer ici (https://secure.avaaz.org/fr/petition/Promouvoir_leducation_nonviolente/?launch) est initiée par l'asbl Défense des enfants.

     

     

     

     

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  • Commentaires

    1
    Laura
    Dimanche 23 Novembre 2014 à 21:14

    Personnellement j'ai vu mon agressivité et mes réactions violentes diminuer nettement quand je les ai acceptées et accueillies. Quand j'ai vu et accepté qu'il y avait cela en moi. Plus on se juge, se réprime, se culpabilise, plus on nourrit la violence en soi. Plus on la repousse plus elle revient pleine de force. Nous sommes tous violents et colériques, c'est normal, nous avons nos parts d'ombres, et nous voulons parfois tuer, étrangler, trucider des bébés, des innocents, que sais-je, même avec jouissance (en fantasme c'est important de se l'autoriser, très important de sentir la jouissance qu'on peut avoir à imaginer faire du mal aux autres même les plus faibles). Nous avons des puissances très noires en nous, si on les repousse, les juge, elles ont une force maximale sur nous, inconscientes tapies dans l'ombre, elles nous dirigent et ressortent par milles paroles blessantes, jugement méprisants, gestes agressifs éloquents, haine de nous mêmes ou d'autres (mais tues).... Si nous les accueillons on transforme notre rapport avec elles - elles sont là et le seront toujours. On le sait. On ne les nourrit plus par notre culpabilité omniprésente. Elles nous équilibrent, leur mise en lumière nous donne de l'énergie. C'est un chemin important souvent. Il transforme notre rapport à nous même et à la violence. Il ouvre aussi notre coeur et nous permet d'aimer plus, beaucoup plus. Il permet de s'aimer plus soi-même d'abord et les autres également.


    Interdire tout châtiment corporel c'est super, ça fait avancer les mentalités, je suis contre le fait de frapper son enfant. Par contre il faut surtout pas croire un instant que cela fera s'arrêter la violence. Elle a mille autres canaux pour passer et aucune loi ne pourra jamais les interdire. La violence peut être verbale et sans même hausser le ton, nous pouvons être si moralisateurs, si jugeants, si manipulateurs, si méprisants que nous détruisons les enfants. Nos gestes peuvent être en apparence mesurés, et en fait emprunts de tous nos ressentiments, la manière dont repoussons cette petite main, la manière dont regardons notre enfant nous demander encore une fois ce truc auquel on a dit non... Rien d'extérieur ne pourra arrêter cette violence là, rien a part un profond travail sur soi des parents qui ne passe surtout pas par les "recettes" éducatives (ne pas faire du chantage) ou par la culpabilisation (qui a pour effet de nourrir encore plus l'agressivité en nous à la source). Un profond travail sur soi qui passe par l'amour se soi véritable (bienveillance inconditionnelle envers tous nos défauts même ceux qu'on déteste) dont la reconnaissance et l'accueil de nos parts les plus destructrices et violentes (celles qu'on juge si facilement chez les autres et qu'on estime ne pas avoir :D).


     


     


     


     


     


     


     

    2
    little
    Mardi 25 Novembre 2014 à 20:25

    Tiens, ca m'a fait penser à cet article... : http://blog.scommc.fr/faut-il-vraiment-eradiquer-la-violence/

    3
    Mardi 2 Décembre 2014 à 13:22

    Merci pour les commentaires. 

    Je suis à bout.  Et je ne sais plus quoi faire. 

    J'ai ressenti de l'agacement avec cette histoire d'indulgence envers soi, de bienveillance.  Mais bon, je ne sais pas pourquoi au juste.  Peut-être parce que je trouve que tous les parents sont vite indulgents envers eux-mêmes, tellement qu'ils ne remettent pas en cause leur manière de faire...Peut-être que mon agacement trouve aussi d'autres sources...Je ne sais pas.

    Sinon, j'adore, j'adore les propos de l'autrice du blog: S comme C.  Merci de me l'avoir fait découvrir! J'ai adoré son post sur la colère: http://blog.scommc.fr/le-guide-des-emotions-la-colere-cette-inconnue-qui-vous-veut-du-bien/

    Son post sur la violence m'a aussi beaucoup parlé.

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