• [2011-04-18] Quels liens entre les politiques semencières, le droit à l’alimentation et les droits de propriété intellectuelle (les brevets)?

    [Rapport du R.S.D.A. sur les politiques semencières, 1ère partie]

    Olivier De Schutter, Rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation (R.S.D.A.), dans son rapport intitulé « Politiques semencières et droit à l’alimentation : accroître l’agrobiodiversité et encourager l’innovation », rappelle l’importance de revoir le régime actuel du droit de propriété intellectuelle, lequel est actuellement exploité sans retenue par les multinationales pour entretenir la dépendance des agriculteurs à leur encontre.

    Préalablement à son examen des droits intellectuels, le R.S.D.A. évoque brièvement le lien entre : politiques semencières et droit à l’alimentation, puis entre politiques semencières et propriété intellectuelle. 

    Le droit à l’alimentation trouve une base légale dans différents textes internationaux[1] dont l’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) 

    Article 11

    1. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu'à une amélioration constante de ses conditions d'existence. Les Etats parties prendront des mesures appropriées pour assurer la réalisation de ce droit et ils reconnaissent à cet effet l'importance essentielle d'une coopération internationale librement consentie.

    2. Les Etats parties au présent Pacte, reconnaissant le droit fondamental qu'a toute personne d'être à l'abri de la faim, adopteront, individuellement et au moyen de la coopération internationale, les mesures nécessaires, y compris des programmes concrets:

    a) Pour améliorer les méthodes de production, de conservation et de distribution des denrées alimentaires par la pleine utilisation des connaissances techniques et scientifiques, par la diffusion de principes d'éducation nutritionnelle et par le développement ou la réforme des régimes agraires, de manière à assurer au mieux la mise en valeur et l'utilisation des ressources naturelles;

    b) Pour assurer une répartition équitable des ressources alimentaires mondiales par rapport aux besoins, compte tenu des problèmes qui se posent tant aux pays importateurs qu'aux pays exportateurs de denrées alimentaires.

    Comme toutes les dispositions du Pacte, cet article a fait l’objet d’une observation générale de la part du Comité des droits économiques, sociaux et culturels.  Vous pouvez prendre connaissance de l’ensemble de cette observation dans le document référencé sous E/C.12/1999/5 (ci-après l’O.G. n°12).

    Le R.S.D.A. explique, à la page 5, §§ 4 et suivants, que le droit à l’alimentation garanti par l’article 11 du P.I.D.E.S.C. requiert des Etats 3 types d’obligations, celles de :

    1)    respecter l’accès existant à une nourriture suffisante ;
    2)    protéger le droit à l’alimentation ;
    3)    donner effet à la réalisation du droit à l’alimentation.

    1)   Respecter l’accès existant à une nourriture suffisante

    Cette obligation impose aux Etats de s’abstenir d’adopter toute mesure susceptible de priver quiconque de cet accès[2].

    Appliquée à la politique semencière, cette obligation conduirait à considérer que :

    ‘’ L’introduction de mesures législatives ou autres entravant l’accès des agriculteurs à leurs circuits traditionnels de semences paysannes violerait cette obligation, car elle les priverait d’un moyen de subvenir à leurs besoins. La Directive volontaire 8.1 de la fao à l’appui de la concrétisation progressive du droit à une alimentation adéquate dans le cadre de la sécurité alimentaire nationale [4] stipule que les États doivent « protéger les moyens de production grâce auxquels les populations assurent leur subsistance ‘’. (page 5, § 4 du Rapport du R.S.D.A.)

    2)   Protéger le droit à l’alimentation

    L’obligation de protéger le droit à l’alimentation contraint les Etats à adopter des mesures législatives qui règlementent les activités des titulaires de brevets ou des producteurs d’obtentions végétales.  Ces réglementations visent à empêcher ces derniers à porter atteinte au droit à l’alimentation des agriculteurs qui ont besoin des intrants pour continuer à cultiver leurs champs. (voy. l’O.G. n°12, § 19 et la Directive volontaire 8.5. de la fao.

    C’est à ce titre que l’Inde a été invitée à subventionner « les agriculteurs pour leur permettre d’acheter des semences génériques réutilisables en vue de mettre un terme à leur dépendance à l’égard des sociétés multinationales »[3].

    3)   Donner effet à la réalisation du droit à l’alimentation

    « Ils doivent donc la faciliter en renforçant activement l’accès des gens aux ressources et aux moyens d’assurer leur subsistance, y compris leur sécurité alimentaire ainsi que l’utilisation de ces ressources et moyens (voir E/CN.12/IND/CO/5, par. 15); ils doivent également « améliorer les méthodes de production […] en facilitant la pleine utilisation des connaissances techniques et scientifiques », conformément à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et à la Directive volontaire 8.4. de la fao ». (page 5, § 6 du Rapport du R.S.D.A.)

    Et le R.S.D.A. d’insister que :

    « 7. Ces obligations s’appliquent à la réglementation du secteur des semences industrielles ainsi qu’à la préservation et à l’amélioration des traditionnels circuits  informels de semences paysannes.

    La séparation de l’activité d’obtention et amélioration des semences et de l’activité agricole, de même que l’avènement des biotechnologies, a donné naissance à une filière des semences industrielles dont le monde paysan est de plus en plus tributaire. Ce nouveau secteur doit donc être réglementé pour que les agriculteurs aient accès aux intrants à des conditions raisonnables et puissent ainsi avoir un niveau de vie adéquat; il faudra faire en sorte que les innovations produisant des variétés améliorées et de nouvelles ressources végétales profitent à tous les agriculteurs, y compris les plus vulnérables et les plus marginalisés. Cet impératif découle à la fois de l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 11 susmentionné du Pacte international et du droit de chacun de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications, et de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 15 du même instrument, qui peut être invoqué pour justifier la revendication du droit d’accès des agriculteurs aux semences qui ne sont pas dans le domaine public .

    Les États doivent aussi veiller à ce que les circuits informels de semences paysannes puissent se développer : ils devront pour ce faire

    -         s’abstenir de toute ingérence indue,
    -         apporter leur protection contre les ingérences extérieures et
    -       s’assurer activement que ces circuits peuvent se développer malgré les conditions draconiennes imposées par les semenciers.

     Seule une approche équilibrée de ces deux types d’obligations permettra aux agriculteurs de choisir librement et en toute connaissance de cause entre les systèmes, qui sont l’un et l’autre des voies possibles pour la poursuite de leurs activités ».  (la mise en couleur, la mise en gras, et la subdivision en paragraphes sont de moi)

                                                                      

    En conclusion, le R.S.D.A. constate la dépendance des paysans vis-à-vis des multinationales détentrices de brevets et les conditions draconiennes[4] imposées par les semenciers. Partant, ses propos établissent sans équivoque le lien entre la politique semencière et le droit à l’alimentation, d’une part, et les droits intellectuels, d’autre part.

     

    Les références citées en notes infrapaginales par le R.S.D.A. ne sont pas reproduites ici.  Pour en prendre connaissance, veuillez vous reporter au texte original.

     


    [1] Pour plus d’infos, vous pouvez lire l’explication du Rapporteur spécial pour le droit à une alimentation ici.

    [2] Le paragraphe 13 de l’OG n°12 définit ce qu’il y a lieu d’entendre par l’accès :

    « L'accessibilité est à la fois économique et physique :

    L'accessibilité économique signifie que les dépenses d'une personne ou d'un ménage consacrées à l'acquisition des denrées nécessaires pour assurer un régime alimentaire adéquat soient telles qu'elles n'entravent pas la satisfaction des autres besoins élémentaires. Elle s'applique à tout mode d'acquisition ou toute prestation par lesquels les gens se procurent leur nourriture et permet de déterminer dans quelle mesure le droit à une alimentation suffisante est assuré. Il se peut qu'il faille prêter attention dans le cadre de programmes spéciaux aux groupes socialement vulnérables, comme les personnes sans terre et les autres segments particulièrement démunis de la population.

    L'accessibilité physique signifie que chacun, y compris les personnes physiquement vulnérables, comme les nourrissons et les jeunes enfants, les personnes âgées, les handicapés, les malades en phase terminale et les personnes qui ont des problèmes médicaux persistants, dont les malades mentaux, doit avoir accès à une nourriture suffisante. Il se peut qu'il faille prêter une attention particulière et parfois donner la priorité à cet égard aux victimes de catastrophes naturelles, aux personnes vivant dans des zones exposées aux catastrophes et aux autres groupes particulièrement défavorisés. De nombreux groupes de population autochtones, dont l'accès à leurs terres ancestrales peut être menacé, sont particulièrement vulnérables ».

     [3] E/CN.12/IND/CO/5, § 69, cité par le R.S.D.A au paragraphe 5, in fine. La mise en gras vient de moi.

    [4] « adj. […].  D’une rigueur excessive ».  Définition du Petit Larousse 2003.

    « [2011-04-17] Le bio en plein boom en Wallonie: y a de l'espoir[2011-04-18] Les effets pervers de la Révolution Verte dénoncés par le Rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation »

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