• 19 avril '13- Moi, victime des Khmers rouges, rescapée et fille de rescapés

    Je parle peu de mon passé khmer (attention Khmer ≠ Khmer rouge; voy. ce dessin).  Envie de m'en extraire dans mon quotidien.  Cet environnement, et ce passé khmer rouge, j'y baigne depuis petite, depuis toujours en fait, puisque je suis née sous ce régime totalitaire (j'y fais allusion ici et le développe un peu ).  

    Pourtant une rencontre récente, celle avec l'Atelier des Façonneurs de mémoire (ici sur fb), est venue réveillée une colère.   Grâce ou à cause d'une entrevue avec les jeunes et moins jeunes des Façonneurs de mémoire, j'ai pu exprimer mon ire à être considérée comme une enfant de victime*.  Cet article m'a été inspiré par Claudio qui m'a confirmé que mes parents s'inscrivaient toujours dans cette logique...

    Le régime khmer rouge a duré, grosso modo, de 1976 à 1979.  Je suis née en 1978.  Autrement dit, j'ai été conçue pendant ce régime, suis née sous celui-ci et ai passé les 1ers mois de ma vie sous ce totalitarisme, puis les autres 1ers mois de ma vie à fuir les bombes lancées pour chasser ces communistes, enfin les 1ères années de ma vie dans un camp de réfugiés thaï, en attendant que la Belgique accepte mes parents et moi-même, réfugiés cambodgiens déracinés, reconnus comme tels par le Haut Commissariat aux Droits de l'Homme.

    Mais à part ça, c'est sûr, je n'ai pas moi-même vécu le drame cambodgien.  Je n'en ai pas souffert.  Je ne suis qu'indirectement concernée.

    C'est le discours et la certitude qui m'ont collé depuis mon enfance.

    Jusqu'à ce que, jeune adulte, enfin émancipée de mes parents, je me mette à y réfléchir.  J'avais déjà 20 ans passés quand j'ai osé exprimer la 1ère fois ma colère envers une telle conception.  Mais nulle oreille.  Du moins, nulle réponse de personne.  Silence radio.  Non, chère toi, tu étais bébé, tu n'es donc pas concernée, tu n'as pas souffert, ta mère a eu du lait, tu n'as pas souffert de la faim, tu n'as subi aucun mauvais traitement.  Tu y étais mais tu n'y étais pas, puisque tu étais bébé.

    Wouah!  Quel déni!

    La période de ma gestation ainsi que les circonstances de ma naissance ne sont pas exemptes de stress.

    Mes premiers mois sur Terre sont également teintées d'angoisse, de faim, de peur, de morts, de tortures, de silences et de non-dits...La fuite dans la forêt vers la Thaïlande, les bombes, le silence imposé pour une question de vie...Tel fut mon lot quotidien les premiers mois.  Ensuite, l'angoisse de rester sur place, dans ce camp de réfugiés, de ne pas en sortir...

    J'avais l'âge de mon fils quand je suis arrivée en Belgique.  Et à l'âge actuelle de ma fille, cela faisait 4 mois que je fuyais dans la forêt, sans domicile fixe, accrochée à ma mère dans un krama qui servait de porte-bébé, passant entre les bombes, et échappant aux tigres et autre animal (à savoir: au Cambodge, il n'est pas de tradition de porter son bébé dans un porte-bébé, quel qu'il soit.  Le porte-bébé ne s'inscrit donc pas dans un héritage culturel mais s'est imposé face aux événements)

    Certes, je ne disposais pas du langage au moment des faits.  Est-ce dire que je n'ai pas vécu ce que mes parents, ma famille et leurs amis ont vécu parce que je n'avais pas conscience de ce qui se jouait, ni la parole pour exprimer le malaise?

    Depuis que je suis devenue mère, j'en ai lu des ouvrages sur la maternité et sur la grossesse. Je ne compte pas les écrits qui affirment l'influence sur l'enfant à naître et sur la mère du contexte et de l'environnement stressants pour la mère.  Je suis convaincue d'avoir été marquée par ce début de vie hanté par la mort. 

    Je pense aujourd'hui être en résilience par rapport à ces événements; et j'aspire à tourner cette page.  Tout en étant consciente de l'enjeu de transmettre cette histoire familiale à mes enfants. 

    Mon chéri et moi nous sommes déjà posés la question du moyen de communiquer ce passé à nos enfants.  Pas facile. 

    Si mes parents en parlaient souvent entre eux et avec la famille et les amis, je n'ai pas, moi, ce besoin d'exprimer et réexprimer ce récit lorsque je vois la famille et mes amis.  Ces dernier ne sont pas des ex-compagnons de cette infortune. 

    Mes parents, eux, ressentaient le besoin de discuter et de revenir sur leur vie pendant les Khmers rouges.  Aujourd'hui, alors que j'exhorte mon père à tourner la page, il ne peut s'empêcher de témoigner.  Tout comme ma mère.  Comme si leur survie ne pouvait trouver sens que dans l'acte de témoigner de ce qu'ils ont vécu. 

    C'est une des raisons pour lesquelles il est très dur de penser que certaines personnes peuvent soupçonner mes parents d'avoir collaboré d'une manière ou d'une autre avec les Khmers rouges.  Cette collaboration expliquerait, dans leur logique, la survie de mes parents.  Il est déjà pénible d'être survivants lorsque l'on pense à ceux qui n'ont pas survécu.  Dès lors, par la suite, quelle cruauté que d'affronter la suspicion des "autres" qui nous présument coupables de quelque chose parce que survivants.  Forcément coupables parce que survivants.  Coupables d'avoir survécu.  [je m'éloigne du sujet]

    Bref, tout cela pour dire que je conteste l'argument selon lequel je n'étais qu'une victime indirecte du régime khmer rouge.  Ne pas avoir la parole, ni la mémoire consciente pour "dire" dans quoi j'ai baigné ne signifie pas que je n'ai pas vécu l'environnement de guerre.  Personne ne peut dire que, finalement, je n'étais pas victime.  Affirmer mon statut de victime n'implique pas pour autant que je victimise, dans le sens de m'apitoyer sur mon sort. 

    Pendant des années, j'ai cherché cette reconnaissance de mon statut, lequel fut indéniablemement nié.  J'ai étudié le droit, puis me suis spécialisée en droit de l'homme.  Il m'aura fallu mon tout dernier travail d'étude à la fac pour me décider à revenir sur la période khmère rouge.  Jusque là, je m'étais toujours refusée de m'y intéresser.  Le récit de mes parents me suffisait.  Je n'avais rien lu, rien entendu...

    Grâce au droit, j'ai affronté l'Histoire de face.  Le droit m'a donné un outil "scientifique", le droit fut mon "média" pour plonger dans cette période noire de mon pays, pour y plonger tout en gardant la distance nécessire pour ne pas être happée par tant de violence et par mon réflexe de révolte.

    Aujourd'hui, je n'ai besoin d'aucune reconnaissance extérieure de mon statut de victime.  Je suis en paix avec cela.  J'ai tourné la page. 

     


    *Comme dans cet article où il est question des enfants des rescapés ("L’histoire récente du Cambodge a aussi donné lieu à nombre de témoignages de rescapés. Aujourd’hui, à leur tour, leurs enfants prennent la plume pour investir cette mémoire, cachée ou tue pendant de longues années. Ils s’appellent Tian, Navy Soth et Loo Hui Phang").  Comme si ces enfants, nés en 1974 et 1975 n'étaient pas eux-mêmes des rescapés.
    Ces jeunes sont :

    • L’Année du lièvre, Tian, Gallimard, tome 1 / 17 €
    • 100.000 journées de prières, Loo Hui Phang et Michaël Sterckeman, Futuropolis / 20 €
    • Larmes Interdites, Navy Soth et Sophie Ansel, Plon / 21 €.

     

     

     

     

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  • Commentaires

    1
    Laura Chéripon
    Samedi 20 Avril 2013 à 09:06

    Voilà à quoi je pensais qaund je te posais la question d'écrire plus là dessus. Bien sur que tu as vécu dans ton corps et dans ton âme cette période chaotique, bouleversante, surement très angoissante en soi, sans parler de l'angoisse terrible que tes parents ont pu ressentir et donc de transmettre d'une manière ou d'une autre. Ensuite, même si rescapés, arriver comme étrangers très loins de sa terre natale n'est pas anodin. Tu sais, je suis psy dans quelques mois et je peux t'assurer que la constatation générale sur le traumatisme du genre de celui que ta famille a vécu est qu'elle affecte plus les générations suivantes que celle qui a directement vécu les évenements. Ce qui renvoit à la difficulté à se représenter ce qu'il s'est passé pour toi et ta soeur mais aussi pour tes enfants. Par ailleurs, certaines thérapies se focalisent quasi uniquement sur les vécus prénataux, l'accouchement et les moments qui ont suivi, tellement cette période semble fondatrice pour certains théoriciens. J'ai deux livres à te preter absolument. Je t'embrasse du fond du coeur, et comme tu m'as encouragée à écrire et à retraverser ce moment dur que fut la naissance de mon fils (je t'en remercie encore), j'ai très envie d'à mon tour te soutenir là dedans, si c'est le bon moment pour toi. 

    2
    Dimanche 21 Avril 2013 à 21:13

    Wouah, je suis touchée.  Oui, absolument.  Je me disais que je pencherais bien volontiers là-dessus.  Soit maintenant, soit dès mon congé en juillet.  Je suis ravie que tu m'offres quelques pistes de lectures, cela m'évite de partir à l'aveuglette sur la toile.  Merci à toi!
    Et, tu le sais, c'est suite à notre discussion que l'envie m'a prise de m'investir dans le projet "mon corps, mon bébé, mon accouchement".   Notre conversation m'a énormément marquée et travaillée.

    Quant à la réécriture de mon propre enfantement, elle m'a permis de me replonger dans certaines angoisses en les exprimant autrement, davantage que dans mon premier texte, de sorte à mettre en exergue le lien entre ma 1ère grossesse et ma gestation.

    Que d'autres discussions en perspective!

     

    3
    Vendredi 26 Avril 2013 à 22:20

    Merci beaucoup Marie, pour ce commentaire.


    Ce sujet continue à me travailler plus que je ne voudrais suite à l'article que j'ai rédigé.  Je continue à en parler à mon amie cambodgienne - vietnamienne ( Cambodgienne de la minorité vietnamienne - cible privilégiée des KR), née comme moi sous le régime des Khmers rouges. 

    Je regarderai donc le livre de Ruth Klüger.  J'ai envie d'une discussion sur ce sujet, et surtout, comme tu l'écris si bien, d'une dispute (j'aime bien ce terme) contre tous les clichés et reproches.

    Merci merci

     

    4
    Laura Chéripon
    Samedi 27 Avril 2013 à 11:03

    Oui, j'y ai repensé aussi, je me suis rappellée de mon cours sur le traumatisme dans le cadre de guerres et de génocide (une épreuve ce cours), et il y avait une étudiante qui faisait son mémoire sur les enfants cachés pendant la dernière guerre. Le sujet a été beaucoup étudié concernant la Shoah. 

    5
    Lundi 21 Juillet 2014 à 19:10

    Je retranscris le commentaire de Marie que j'ai supprimé car il contenait mon prénom réel. Or, je ne tiens pas à le dévoiler.

    Ecrit le Vendredi 26 Avril 2013 à 19:34   Supprimer le commentaire

     
     

    Ton billet me touche beaucoup, beaucoup, beaucoup. Durant mes études de germaniques, je me suis un peu spécialisée en littérature de la Shoah (notamment pour mon mémoire), et j'ai lu et étudié entre autres l'oeuvre de Ruth Klüger, auteure autrichienne vivan en Amérique, qui a vécu et survécu aux camps de concentration et d'extérmination lorsqu'elle était enfant. Elle aussi a ensuite dû combattre le fait qu'en tant qu'enfant elle n'avait pas/moins de crédibilité comme victime. Son livre "weiter leben" a été traduit en français (je te le recommande +++++++++) et est à la fois un récit de ce qu'elle a vécu, mais aussi et surtout une discussion, une dispute contre tous les clichés, les reproches qui lui ont collé à la peau.

    6
    Lundi 21 Juillet 2014 à 19:30

    Encore dernièrement, j'ai vécu deux réactions horripilantes.  
    Le premier concerne un camarade de mon atelier d'écriture, qui me demande où je suis née.  Etc. Etc.
    Et sa réaction lorsqu'il apprend que c'est au Cambodge sous les Khmers rouges:
    "Ah, mais, toi, tu n'avais pas conscience de ce qui se passait".  Genre: tu n'en as pas subi les conséquences.  Bof.

    La deuxième réaction, ce fut une autre homologue de mon atelier d'écriture.  Dans un premier temps, alors que nous parlions des secrets de famille, elle explique l'importance du bébé, de la vie intra-utérine, etc.  En l'écoutant, je me dis qu'elle comprendrais ce que c'est que de vivre sous un régime de terreur...même bébé.  Non que je veuille m'en vanter ou quoi que ce soit.  Que nenni!

    J'en viens à intervenir pour expliquer que le mieux, c'est que le secret ne soit jamais un secret, et donc, ne doive jamais être révélé.  J'explique comment mon histoire familiale et nationale a toujours fait partie de notre vie, dès notre plus jeune âge, à ma soeur et moi.  Mais que lorsque mon fils a commencé à parler, il m'a posé une question déconcertante. J'en parle ici: http://den.eklablog.fr/2012-01-18-maman-il-est-ou-le-papa-de-grand-pere-ou-comment-etre-pris--a35143823

    Suite à cette question, nous nous sommes interrogés, mon homme et moi, sur la manière de transmettre mon histoire familiale.  Nous avons parlé de guerre.  Mais il ne connaît évidemment pas les détails.  J'explique cela lors de cette auberge espagnole avec les gens de l'atelier d'écriture. 

    La dame, qui m'avait tenu tout un laïus sur l'importance de la petite enfance, de parler au nourrisson parce qu'il comprenait, etc. etc.  Elle me répond: "Sinon, tu peux laisser tes parents leur raconter. Après tout, tu n'es pas concernée".  Là-dessus, je lui répond un truc assez cinglant, genre: "je me sens quand même concernée, c'est mon histoire, encore plus parce que j'étais là! "  [Je trouve que c'est l'histoire de ma soeur aussi, même si, elle, est née en Belgique.  Bref].

    J'ai parlé de ce genre de réactions au médecin de l'EMDR.  Il m'a suggéré une autre sorte de réaction moins agressive, qui met moins la tête dans le caca de l'autre (expression de mon homme - dès le tout début de notre relation, il m'a trouvé cette "qualité", moi et mes constats sans pincette!).  Nous avons travaillé là-dessus.  Je vais tenter. Même si mon agressivité est à la hauteur de l'agacement que je peux ressentir.  Comment peut-on dire A et 10 minutes, dans un cas pratique, dire B?  Je ne comprends pas.

    8
    Mardi 22 Juillet 2014 à 12:20
    PandaVG

    Merci pour le lien vers mon blog oops

    Je suis passée hier soir en fait, après que tu aies laissé ton commentaire sur mon article et j'ai eu le temps de lire trèèèèèès rapidement ton prénom mais rassure-toi, je l'ai déjà oublié (enfin j'ai encore la première lettre en tête).

    C'est dingue quand même que les gens aient osé te "soupçonner" d'avoir survécu parce que vous auriez collaboré d'une façon ou d'une autre avec les khmers rouges oh je n'ai jamais entendu une accusation pareille (et tant mieux).

    Mais tu vois, le "tu y étais mais tu n'y étais pas", parce que tu étais bébé, c'est ce que j'ai ressenti toute ma vie, pas forcément du monde extérieur. Ca vient de moi-même, c'est fou hein.

    Je ne me sens pas "légitimement" moi-même comme une survivante, j'ai l'impression que c'est une imposture en ce qui me concerne vu que j'étais bébé et que ce sont mes parents qui ont dû toute faire pour me garder saine et sauve, eux qui ont fait des efforts, moi je me suis contentée d'être là. Je suis arrivée à l'âge d'un an en France, comment pourrais-je "m'approprier" les difficultés rencontrées par mes parents?

    Alors qu'en fin de compte, bien sûr que psychologiquement, la vie intra-utérine a son importance sur le développement d'un être, même la vie d'avant la naissance comme les circonstances de la conception par exemple, la psy que j'ai rencontrée pour mon bilan psychométrique a émis l'idée qu'il faudra peut-être un jour que je me penche sur le fait que je sois le bébé d'après la fausse couche de ma mère, qu'à travers son ventre j'ai dû vivre tout un tas de traumatismes (les siens, qui deviennent un peu les miens), sans m'en douter là maintenant à l'âge adulte.

    Les livres que tu cites ont l'air extrêmement intéressants, je crois que le jour où j'oserai enfin fouiller ce passé qui est encore si flou pour moi, je choisirai ceux-là. Pour l'instant je ne suis toujours pas prête, je suis une éponse à émotions et je ne me sens pas encore la force d'affronter ça: je finis systématiquement lourdement remuée à chaque reportage qui passe à la télé sur le sujet et je pleure sans m'arrêter (alors que je n'ai rien vécu vraiment, en tout cas, pas dans mes souvenirs accessibles à ma mémoire).

    Encore merci de m'avoir permis de découvrir ton blog en passant par le mien.

    9
    Mardi 22 Juillet 2014 à 17:20

    Je comprends tout à fait l'impossibilité de lire sans être prise par une émotion brutale.  J'ai attendu mes 24 ans pour lire la première ligne sur l'histoire du Cambodge.  Et, encore, parce que j'avais le droit comme média.  Comme il s'agissait de rédiger un travail "scientifique", j'ai profité de ces lunettes scientifiques pour lire les récits avec froideur et distance.  Sans ces lunettes, je n'aurais pas pu (24 ans quand même) et je ne peux toujours pas.  36 ans quand même).

    Je repense souvent à un incident qui est arrivé pendant ma petite enfance (1984, j'avais 6 ans).  Mes parents ont un jour organisé le visionnage avec des amis, dont une amie, E., de Paris, l'auteure du Mur de bambou, du film ...Ha, comment il s'appelle encore, ce film sur les Khmers rouges?  Ah, oui, La déchirure.  

    Eh bien, je n'ai assisté à rien.  Pour la 1ère et dernière fois de ma vie, j'ai souffert, ce soir-là, d'une méchante constipation (ce n'est pas glamour, mais bon, le sujet ne l'est pas non plus, puis j'étais gamine).  Quand il me vient des flashs de cette soirée, je n'ai que des images de la toilette, et moi me tenant le ventre à côté, avec ma mère et notre amie, E. médecin par ailleurs.  Moi qui n'étais pas douillette, et rarement malade, ce soir-là et uniquement ce soir-là (fini le lendemain), j'ai eu mal au ventre à pleurer...Pour moi, cet incident n'est pas anodin.  Je n'y ai repensé que bien après avoir rédigé mon travail de fin d'étude... 

    Pour ce qui est d'y être sans y être...Je comprends ton sentiment.  Je l'ai partagé de nombreuses années, avant de devenir mère. Puis, à partir de 31 ans, quelque chose de sourd et de lourd a pris le dessus.  Devoir se taire (pleurer pouvait entraîner la mort pendant la fuite du pays), ne pas manger à sa faim, être trimbalée de jour comme de nuit sans ménagement, entendre les avions au-dessus de nous, entendre le bruit des bombes, être aimée par mes parents mais ne pas avoir connu avec eux de moments réellement détendus, intra-utéro, avoir eu une mère malade, avoir subi des tentatives d'avortement avortés (héhé, mauvais jeux de mots), le stress intra-utérin, il existe bel et bien, etc. etc.  

    Je commence à vouloir sérieusement explorer ma toute petite enfance...Mon hypothèse, c'est qu'on ne sort pas indemne de ce genre de situation.  Et même si je n'ai pas du réfléchir consciemment et "logistiquement" à rester vivante, j'ai fait partie de cette tragédie et y ai participé, n'ai pas posé des actes réfléchis mais ai du prendre sur moi, et ai été imprégnée de tout ce stress, sans pouvoir l'évacuer d'une manière ou d'une autre (pas possible de pleurer, pas le loisir de tester une limite, il était question de vie ou de mort).

    Je ne tiens pas plus que cela à te convaincre.  Je n'en éprouve pas le besoin. Seulement, j'aimerais relever quelques points.

    "se contenter d'être là" et être en même temps "une éponge émotionnelle"... je ne sais pas...j'y vois comme une oxymore... "alors que je n'ai rien vécu vraiment, en tout cas, dans mes souvenirs accessibles à la mémoire", Parce que le fait que tu étais présent mais "enfant" (dans le sens de infans, "qui ne parle pas"), cela signifie: ne pas vivre vraiment?  

    Heu, comment dire, ton enfant, il a parlé à quel âge?  2 ans, un peu avant, un peu après?  Alors ce que tu as vécu avec lui avant ses 2 ans, l'affection et le quotidien que vous avez partagés, l'amour qu'il t'a porté, l'amour que tu lui as porté, ce n'était vécu vraiment , ce n'était pas la vraie vie ?   Si je te suis, on commence à vivre vraiment à partir du moment où on se souvient...Bah, je me demande alors pourquoi on parle de "naître à la vie" et de "donner la vie" à l'accouchement...

    Ceci dit, je le répète, je comprends ce que tu défends, parce que tout le monde semble le partager unaniment, même une amie née la même année que moi au Cambodge.  Son frère était jeune enfant (4 ans, je crois) à l'époque.  Selon elle, lui a vécu vraiment les choses... Pas elle, elle n'en a pas de souvenirs et ne peut donc rien "dire", infans quoi.

    Je ne sais pas...quelque chose me chiffonne dans ce raisonnement...Et ce, sans vouloir victimiser, sans vouloir sortir les violons ni les mouchoirs.  Juste un sentiment que quelque chose n'est pas juste dans ce raisonnement.

    J'ai lu hier toutes tes chroniques de "vis ma vie de ...fille de réfugié khmer".  Je compte en reparler prochainement.

     

    10
    Mardi 22 Juillet 2014 à 22:17
    PandaVG
    Effectivement tu as raison. Et je l'ai réalisé lors de mon bilan psychométrique, quand ma psy m'a conseillé de me pencher sur la période qui précède ma naissance et les années qui ont suivi. Je crois lui avoir dit les mots "au moment où je suis tombée enceinte, j'ai eu besoin de faire un retour en arrière et je constate que je ne sais pas d'où je viens. Comment pourrais-je avancer dans la vie si je n'ai même pas une idée de mon point de départ?"
    Bref ça me travaille, c'est juste que je n'arrive pas à dire tout haut que je suis une réfugiée. Pourtant c'est le cas, oui, tu as entièrement raison.
    Tu te rends compte que je ne sais même pas situer sur la carte l'endroit où je suis née? Expliquer à mon fils que je suis d'origine cambodgienne mais que je suis née en Thaïlande a été compliqué. J'ai dû évoqué la guerre. Sauf que je n'ai pas su lui expliquer ce qui avait causé la guerre puisque j'ai trop la trouille pour me documenter sur le sujet, en même temps il n'avait que 4 ans alors j'ai bien fait de me contenter de lui dire qu'il y avait des méchants qui s'en prenaient aux autres et que ses grands parents avaient dû s'enfuir pendant que j'étais bébé.
    Nous n'avons pas les mêmes traumatismes toi et moi on dirait, moi je cherche d'où je viens parce que j'ignore tout et toi tu as souffert du manque de reconnaissance de ton statut de réfugiée, enfin je crois, on ne peut pas vraiment s'analyser en quelques lignes, pardon d'avance si j'ai pris des raccourcis un peu pourris.
    En tout cas je suis vraiment contente d'avoir ce contact avec toi. C'est agréable de pouvoir parler à quelqu'un qui a vécu ce qu'on a vécu. Bloguer, c'est vraiment une chose formidable, tenir mon blog m'a tellement aidée à avancer et j'ai l'impression que je vais pouvoir avancer encore parce que grâce au blog, tu as pu entrer en contact avec moi.
    Mais n'empêche, depuis que tu es passée sur mon blog hier et que j'ai lu ton article, je me sens toute bizarre, ça a remué quelque chose que j'avais enseveli en attente de je ne sais pas quoi en fait.
    11
    Mardi 22 Juillet 2014 à 23:35

    Tu ne peux pas imaginer comme je suis contente d'être tombée sur ton blog!  Merci au Wais III he (c'était mon mot de recherche sur G**gle).  Au moment de rallumer mon ordi, là maintenant, je disais justement à mon homme comme c'était génial de tenir un blog (pour celle qui le tient et celle qui tombe sur une autre qui le tient...Tu me suis?).  

    C'est curieux, et en même temps cela ne m'étonne pas, ce que tu dis à propos de ta psy...J'ai recommencé à repenser à mon enfance avec cette histoire de HP.  De fil en aiguille, j'ai envie de remonter plus loin, bébé et dans le ventre.

    Pour ce qui est de situer où tu es née...Oui, je comprends tout à fait, c'est tragique...Peut-on avoir des ailes quand on n'a pas de racine ?

    Moi, je ne saurais pas situer sur une carte où je suis née, parce que moi, la géographie, bof, mais si je demande à mes parents, ils pourraient peut-être plus ou moins désigner une partie de la région...  

    Tu peux trouver dans la rubrique "en hommage à mes yeux bridés", un article d'une jeune fille qui retrouve son lieu de naissance. 

    Quand tu dis que tu ne sais pas d'où tu viens? Tu veux dire parce que tu ne sais pas identifier clairement sur une carte où tu es née?  

    Pour ce qui est des traumatismes...Pour ma part, non, ce n'est pas le manque de reconnaissance du statut de réfugiée.  D'ailleurs, je le dis sans peine que je suis arrivée en Belgique à 3 ans en tant que réfugiée.  Je l'ai même "revendiqué", tellement, pendant longtemps, en raison de la discrimination entre réfugié politique et immigré, je ne voulais surtout pas que l'on m'assimile à une immigrée...

    Aparté juridique:

    Le droit d'asile enjoint en principe un Etat à toujours accepter une personne qui se dit réfugiée.   C'est le principe de non-refoulement; des infos ici ou ici, où on explique la différence théorique entre un réfugié et un "migrant" ou encore ici.  Par contre, ce principe ne s'applique pas pour les migrants.  

    (J'ai cru comprendre que tu n'aimes pas le droit winktongue.  Moi, si j'ai étudié le droit, c'est, entre autres, pour que personne ne puisse me raconter des carabistouilles...)

    En bref, le statut de réfugiée ne m'a jamais posé problème.  

    Par contre, c'est l'argument suivant qui me hérisse les poils: "toi, tu y étais mais tu n'y étais pas parce que bébé" (mes parents le pensent aussi)...Sous-entendu: "tu n'as souffert de rien parce que tu étais bébé.  Tu es fille de victime, pas victime toi-même, hein!  Parce que tu ne te souviens de rien."  

    Heu, quitter un pays sous les bombes?  Attendre dans un camp de réfugié-es en Thaïlande pendant presque 2 ans? Perdre les 4/5 de sa famille?  Heu, comment dire?  Il n'y a pas quelque chose qui cloche dans ce raisonnement "tu y étais mais tu n'y étais pas" ?  Certes, je ne connaissais ces membres de la famille que j'ai perdus... Cela signifie-t-il que je ne suis pas concernée ?  

    Si j'avais voulu, j'aurais pu me porter partie civile au procès des Khmers rouges, pour ce que j'ai subi, pour mes grands-parents maternels que je n'ai jamais vus et à qui ma mère n'a jamais dit au revoir, pour mon grand-père paternel que je n'ai jamais vu et à qui mon père n'a jamais dit au revoir; à tous mes oncles et tantes (très nombreux), à tous mes innombrables cousins-cousines que je n'ai jamais rencontré-es (en l'état, il me reste 3 cousines du côté maternel et 7-8 cousins-cousines du côté paternel, tous dispatchés dans le monde.  En Belgique, on est 4).    

    C'est cela que j'aimerais que les gens réalisent lorsqu'ils viennent avec leur certitude: tu y étais mais tu n'y étais pas.  Et si cela me blesse, cela me fâche surtout par l'absurdité du propos.  On y est ou on n'y est pas.  On ne peut pas y être sans y être.

    Bref.

    Si ce quelque chose a été enseveli...c'est peut-être parce que ce qqch est très fort et très marqué émotionnellement.  Il y a des périodes de sa vie où on n'est pas prêt-e à regarder/affronter/confronter des choses fortes émotionnellement.  


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    12
    Mercredi 23 Juillet 2014 à 22:42
    PandaVG
    Merci pour la rubrique "en hommage à mes yeux bridés", excellente idée! J'irai lire promis.
    Pour ce qui est de ma sensation de ne pas savoir d'où je viens c'est surtout que je n'en ai jamais vraiment parlé avec mes parents. J'aurais aimé avoir une chronologie des événements.
    Savoir les circonstances de leur départ pour la Thaïlande, comment ils ont fait pour rester réunis avec la famille de mon père et pas celle de ma mère, m'ont-ils conçue au camp ou étais-je déjà dans le ventre de ma mère, les travaux forcés ont-ils été le fait des thaïlandais ou étaient-ce les khmers rouges, le bébé avant moi que ma mère a perdu en fausse couche avait-il été conçu au camp donc, comment s'est-on retrouvé dans un avion pour la France, dans quel camp sommes-nous arrivés en premier (parce que je sais qu'on en a fait minimum 2 en France), combien de temps avons-nous vécu chez ma tante avant d'avoir notre propre appartement (je sais que mon frère a été conçu chez ma tante), ou ai-je fait mes premiers pas, quels ont été mes premiers mots, étaient-ils cambodgiens ou français...
    Quel est le début de mon histoire quoi?

    Ce n'est pas que je n'aime pas le droit, au contraire j'adore ça. Je ne peux pas en faire mon métier, j'étais d'accord avec ma psy à la suite de mon bilan parce que je n'aime pas la façon dont les hommes exploitent le droit pour le choisir comme vocation. Mais au contraire j'adore apprendre des choses utiles. Par exemple, un truc concret, ici en France, les gens ont tendance à croire que le baptême républicain célébré à la mairie permettait aux parents de choisir un parrain et une marraine à leurs enfants. Et ça m'agace que ça ne se sache pas que la seule façon de déterminer qui sera le tuteur légal des enfants en cas de disparition des parents est de le faire par voie testamentaire chez un notaire ou un avocat, j'en ai fait un article clair et concis dans la catégorie "être parent" de mon blog (cette catégorie est peu fournie lol).
    http://echosdansmatete.over-blog.com/article-designer-un-parrain-une-marraine-un-tuteur-legal-72809840.html

    Quand la période de la vie où je me sentirai assez forte pour me confronter à des choses fortes arrivera, je te préviendrai lol.
    13
    Jeudi 24 Juillet 2014 à 12:35

    J'ai une question bête?  Pourquoi tu ne leur demandes pas de te raconter ton histoire? Est-ce que vous en parlez ou parce que cela leur fait trop mal ou te fait trop mal?

    Tiens, pour le droit, j'avais cru lire que tu n'aimais pas.  là: Enfin elle m'a dit d'éviter le Droit ou Science Po parce que ça ne conviendrait pas à ma personnalité (elle a raison, j'ai horreur de ça)

    Et tu en parles à un autre endroit, je ne sais plus où, je crois que tu évoques le par coeur...

    Je n'ai pas bien compris ce que tu entends par "exploitent le droit pour le choisir comme vocation". 

    Quant au moment où tu te sentiras prête, tu peux toujours me prévenir, pour voir.  :-)

    Pour le parrain, marraine, oui, c'est une idée qui ne repose sur rien que de confondre parrain/marraine avec tuteur légal.  Juste une remarque, qui n'a aucune vocation, surtout pas celle de t'influencer.  Si tu adores le droit, je ne vois pas pourquoi tu ne pourrais pas exercer une matière que tu adores pour aider les autres?

    Enfin, pour la question de la culpabilité d'être survivant, c'est un thème récurrent pour les rescapé-es de génocide.


     

    14
    Jeudi 24 Juillet 2014 à 13:37

    En fait, il me vient une évidence, liée à ton indignation concernant la culpabilité, Panda VG, je ne suis pas victime parce  que je suis vivante! Si j'étais morte à la naissance, de faim, de maladie, de coup, je serais une victime. 

    Je ne suis pas victime non plus parce que j'ai eu la chance de ne pas être séparée de mes parents.

    Je ne suis pas victime non plus parce que mes parents ne sont pas morts.  Ouf.  Je comprends mieux.

    De quel droit me prétendre victime puisque je suis vivante ?

    Ah, ça va mieux maintenant, je comprends mieux...  Je ne suis effectivement pas concernée.  Je pourrai acquiescer devant les évidences des autres: "vous avez raison, je ne suis pas concernée, je ne suis par morte.  Si je l'avais été, j'aurais été une victime, mais là, vivante et saine d'esprit et de corps, je ne suis pas concernée."

    15
    Jeudi 24 Juillet 2014 à 15:49
    PandaVG

    Ce sont les métiers du droit qui ne m'attirent pas, pas le droit en lui-même, je n'ai rien contre le droit, vraiment. Mais je détesterais être juriste, avocate, ou notaire (pire, huissier de justice). Dans mon boulot j'en côtoie beaucoup (essentiellement des avocats d'affaires, des fiscalistes, ils font des arrangements pour que les clients les plus riches puissent en donner le moins possible à l'Etat et gagner encore plus d'argent) et on ne peut pas dire que je les apprécie.

    Un métier du droit qui aide les autres et rien que les gens qui méritent d'être aidés? Qui n'aide pas les pourritures à s'en sortir à cause d'un vice de procédure? Qui ne me pousse pas à être témoin tous les jours de la misère humaine, qui ne me pousse pas chaque jour un peu plus à être désespérée par la race humaine? Je n'en connais pas (et vraiment, je suis trop sensible pour bosser dans des milieux pareils).

    Et oui je n'aime pas le par coeur, pour moi ce n'est pas une façon intéressante d'apprendre. Elle convient à certaines personnes, moi ça ne m'intéresse pas.

    Je n'ai aucune idée du métier qui me conviendrait donc pour l'instant je reste dans mon immobilisme. C'est lâche je sais. Je vois bien le regard plein de suffisance des gens quand je leur annonce ce que je fais dans la vie, que je suis secrétaire. Une secrétaire, c'est forcément un peu godiche non?

     

    Oui c'est ça pour le statut de victime. Nous les bébés de cette époque, nous serions vraiment des victimes aux yeux des gens si nous étions morts.

    Enfin je m'inclus dans "les gens", jusqu'à ce que ton article me bouleverse l'autre jour, je ne m'autorisais pas moi-même à m'appeler une réfugiée... Pourtant c'est le cas, moi aussi je suis une victime! 

    16
    Dimanche 27 Juillet 2014 à 22:19

    J'ai beaucoup réfléchi à ce que je pourrais te répondre à ton commentaire. 

    Finalement, concernant le droit, je me contenterai de constater que tu sembles avoir bien réfléchi à la question et avoir des idées bien établies.  Comme je m'en contre-fiche que tu entames ou non des études de droit,  j'avoue, je ne ressens pas l'envie d'énumérer les raisons pour lesquelles je ne suis pas d'accord avec toi. 

    Par contre, de tes écrits sur ton blog et de ce commentaire, je suis surtout frappée par le terme " plein de suffisance" et "godiche".  Cela éclaire vraiment une des raisons- en tout cas selon mes supputations- pour lesquelles cela te tient tellement à cœur d'être considérée comme HP.  Peut-être que je me trompe, dans ce cas, pardonne-le moi, stp.  J'ai donc l'impression que ton statut de HP te rassure et te permet "une sorte de revanche".  "Non, tu n'es pas godiche.  Si tu exerces ce boulot (excellemment bien d'après un de tes posts récents), c'est parce que, HP, tu étais trop sensible, notamment des railleries des autres qui se moquaient des 1ers-ères de classes". 

    Si les gens qui t'accordent un regard plein de suffisance et t'assimilent à une godiche font partie de ton entourage amical, permet-moi de t'inviter à élargir, voir changer, d'amis...Il existe des personnes pour qui l'identité d'une personne n'est pas limitée au métier qu'elle exerce (ni à son QI), voire même pour qui le métier exercé, le diplôme obtenu ne revêtent que peu, voire aucune, importance.

    17
    Lundi 28 Juillet 2014 à 01:57
    PandaVG
    Je n'ai pas besoin de changer mes amis (même peu nombreux), eux me connaissent très bien et apprécient ce que je suis. Depuis mon bilan justement j'ai réalisé que je n'en avais pas besoin de nouveaux.
    On m'a conseillé après ma fausse couche d'en parler pour vider mon sac ou au moins de tenir un carnet pour mettre des mots sur ma souffrance. Ne souhaitant pas embêter mes amis avec mes petits soucis de rien du tout (il y a pire comme problèmes quand même), j'ai préféré ouvrir un blog.
    Je me suis toujours demandée pourquoi je n'étais pas entourée de plein d'amis. Peut-être que je suis tordue, pas normale? Je me suis souvent demandée pourquoi je me sentais si bête en société alors que je sais que je peux me montrer brillante. Peut-être que je suis vraiment bête et que mes moments brillants viennent seulement d'une certaine création de ma folie? Pourquoi j'ai l'impression que je ne suis pas faite pour ce monde, que la vie ne sert à rien?
    Et mon fils a eu 2 ans. Il a commencé à épater tout le monde autour de nous vu les avancées de son langage et de ses réflexions. Mon mari est surdoué lui-même, il a passé les tests dans son adolescence. J'ai commencé à me documenter sur le sujet. D'abord des articles de presse en ligne. Ensuite les sites de psychologie ou médicaux. Même wikipedia y est passé. Plus je lisais et plus je voyais toute mon enfance, au début je me disais coïncidence. J'ai lu que des parents se reconnaissaient souvent après avoir fait passer le bilan à leur enfant.
    J'ai lu un peu un forum prévu pour les surdoués (zebracrossing) et je suis partie en courant, je n'étais pas à l'aise avec l'ambiance. Du coup je ne lis plus aucun forum.
    J'ai lu le livre Trop intelligent pour être heureux de Jeanne Siaud Facchin et j'ai eu des déclics.
    Il fallait que j'en ai le coeur net. Ça expliquerait certaines choses (je le raconte là: http://echosdansmatete.over-blog.com/article-etre-surdoue-a-implique-des-inconvenients-84843050.html).
    J'ai fait le test en ligne de la mensa. Mais ça ne me suffisait pas. Alors j'ai voulu voir, j'ai cherché une spécialiste réputée (histoire de ne pas pouvoir nier les résultats parce que c'est mon genre de penser que j'ai eu de la chance ou alors que mon interlocuteur était un incompétent) et j'ai économisé des sous.
    Quand je suis arrivée chez la psy, je lui ai parlé de la fausse couche et de la crise de la trentaine que je vivais mal. A cause d'objectifs que je m'étais fixée et que je n'ai pas atteints. Je lui ai demandé pourquoi je me sentais seule alors qu'il y autour de moi des gens comme une collègue collante qui veut être mon amie et que je repousse. Est-ce que je suis folle ou idiote?
    La petite soeur de ma mère est handicapée mentale elle est née comme ça. Donc il y a des antécédents de débilité dans ma famille.
    Il y a des questions que je me pose que d'autres personnes qui cherchent à passer un test de QI ne se posent peut-être pas puisqu'on a tous une vie et un vécu différents.
    Mais un fonctionnement cognitif particulier donne des réactions, des émotions, des réflexions particulières.
    Je ne me revendique "HP" auprès de personne (pour moi HP c'est Harry Potter lol). D'ailleurs seuls mes très proches amis sont au courant. Les gens en général ne comprennent pas ce que ça signifie. Il n'est pas question d'intelligence supérieure mais de façon de fonctionner différente. Donc c'est perçu négativement puisqu'ils ont tous en tête une vision fausse du surdoué. Le surdoué n'est pas le génie que tout le monde s'attend à voir briller dans tous les domaines.
    On peut avoir un QI supérieur à 130 et ne pas être surdoué comme on peut avoir un QI inférieur à 130 et être surdoué (en phase dépressive les résultats peuvent être faussés). Avec mon bilan je ne cherchais pas un score, je voulais comprendre mon mode de fonctionnement pour avoir les outils pour reprendre ma vie en main. Maintenant je sais que je suis une visuelle. Quand ma collègue l'autre jour m'a demandée un coup de main sur un tableau excel, je ne comprenais pas ce qu'elle me disait, les mots entraient par une oreille et ressortaient par l'autre sans avoir été déchiffrés. Puis je lui ai demandé de me montrer à l'écran. Là j'ai compris et j'ai pu lui trouver la formule. Ça m'a évité de me sentir idiote comme ça me le faisait souvent avant. Maintenant je sais que j'ai une excellente mémoire (visuelle aussi), je me fais un peu plus confiance dans mon boulot, je ne ressens plus le besoin de recontrôler 5 fois les chiffres des bilans comptables que j'imprime (je travaille pour un cabinet d'expertise comptable et de commissariat aux comptes), j'ai gagné en confiance et en productivité. Quand je me sens en décalage en société, ça ne me tourmente plus.
    Maintenant je cherche un métier qui m'épanouisse. Peu importe que les gens me trouvent godiche, ils peuvent penser ce qu'ils veulent, c'est ma vie. Je ne me sens pas épanouie en tant que secrétaire. Je continue de chercher, je finirai par trouver. Mais pas besoin d'un boulot qui en épate plus d'un, je laisse ça aux gens qui n'existent que pour les autres. D'ailleurs la psy me disait que je pouvais rester à mon poste actuel puisqu'il présentait des avantages et de m'épanouir à côté en me faisant plaisir (lire et apprendre des choses et d'autres, créer quelque chose comme écrire un livre ou une pièce de théâtre) et en aidant les autres sur mon temps libre (je voudrais faire du bénévolat quand mes enfants seront plus grands).
    Bref ce test de QI couplé au test de personnalité, je l'ai fait pour moi.
    Et je partage anonymement ce que j'ai traversé, sur internet, pour aider les autres qui passent par le même chemin. J'en ai déjà aidé plusieurs, j'en aiderai encore. Certains étaient effectivement surdoués,d'autres non, mais ils ont tous appris des choses sur eux-mêmes et ne le regrettent pas.
    A l'école nous ne poussons pas notre fils à montrer tout ce qu'il sait faire. D'ailleurs ils ne savent même pas qu'il sait lire. Nous ne faisons pas partie des parents qui mettent leur enfant en avant en le qualifiant de surdoué à tout va.
    On laisse le temps au temps. On veille sur lui de loin, on sera là si besoin mais en attendant tant que tout se passe bien à l'école, pas besoin de lui faire passer de test.
    Moi en tout cas, je vais bien mieux depuis. Je me sens plus en paix avec moi-même.
    18
    Lundi 28 Juillet 2014 à 01:58
    PandaVG
    Wah pardon pour le pavé...
    19
    Lundi 28 Juillet 2014 à 02:30

    Ok, si tu te sens mieux depuis, c'est sans doute ce qui importe le plus.  

    20
    Lundi 28 Juillet 2014 à 10:51

    Parfois, je peux paraître froide.  Je vais donc m'efforcer de rectifier le tir.

    J'ai bien compris ta souffrance, et je la comprends d'autant mieux que j'ai moi-même eu une scolarité très douloureuse, avec mise à l'écart, stigmatisation.  J'ai eu l'occasion de toucher un mot de ce passé dans ce billet.  http://den.eklablog.fr/12-mars-14-ma-vie-est-un-combat-la-vie-n-est-pas-un-combat-a106974766

    qui est écrit dans le même élan que ce billet ici: http://den.eklablog.fr/8-mars-14-grosse-colere-a106889414

    Nous ne sommes pas des êtres identiques.  Là où l'une va fondre en larme, l'autre serre les dents.  Je pourrais être HP.  Cela montre que le fait que tu sois hypersensible et que les manifestations de cette sensibilité ont peut-être des causes et des origines autres que ce que prétend la littérature mainstream sur les HP.

    Je maintiens tout ce que j'ai pu écrire sur le sujet et j'écrirai une note de lecture de l'ouvrage de Wilfried Gauvrit.  

    Pour ma part, je peine à assimiler et interpréter le passé, les traits de la personnalité qui correspondent aux caractéristiques prétendument propres aux HP, dont l'hypersensibilité, par le biais de la HPitude.  

    Pour moi, cette lecture est un leurre.  Mais, comme dirait mon amie Laura, et c'est pour cela que je me suis contentée de la réponse courte hier soir, le plus important semble, aux yeux de la majorité des gens, et des psys en particulier, que tu te sentes mieux, plus en confiance, peu importe finalement d'où cette nouvelle confiance te vient.  

    Moi, pour ma part, j'ai une autre vision, plus radicale.  Dans la mesure où une personne cherche à se connaître, à mieux cerner sa personnalité, je trouve que fonder sa lecture du passé et du présent sur un concept qui me paraît - cela n'engage que moi- peu fondé, sur un leurre donc, ne rend pas réellement service à cette personne.

    Mais sans doute que je suis trop radicale, car après tout, la personne acquière ainsi de la confiance en elle, et après cela sera peut-être un jour en mesure de prendre distance avec une certaine frange de la littérature vulgarisée.  

    Seulement, il y a en moi une certaine révolte de l'usage que certaines personnes (auteures et psychologues, Wilfried Lignier en parle dans son livre) font des HP, afin d'attirer un lectorat particulièrement sensible, fragile, particulièrement mal dans sa peau, en tout cas, lorsque la question de HP trouve écho en lui.

     

    Je pensais pouvoir m'engager dans un débat avec toi, toi qui te revendiques HP, PandaPV.  Je regrette de constater que tu ne sembles ne porter aucun intérêt pour les ouvrages que je conseille (à savoir Nicolas Gauvrit et Wilfried Lignier; s'il fallait n'en lire que 2 sur le sujet).  Nous ne partageons donc pas le même bagage pour discuter puisque je viendrai toujours avec des arguments lus dans des livres que tu n'as pas lus.  

    Comme par exemple celui-ci lu dans le livre de Gauvrit, qui est pourtant un partisan des surdoués. J'en parle dans ma petite présentation du livre de Lignier, je soupçonne Gauvrit, psychologue en sciences cognitives d'être de la famille de Gauvrit, un proche d'un mouvement militant des surdoués ANPIEP.  Ceci pourrait expliquer sa démarche nuancée (sans doute pour cela que tu ressentiras moins de malaise à sa lecture; malaise dont je pense que tu ne seras pas épargnée à la lecture de LIgnier. J'ai le sentiment que son livre est une sorte de réponse à Lignier (dont il parle dans les dernières lignes) tout en apportant des réponses claires sur les grands clichés véhiculés sur les HP. 

    Ainsi, sur la question de la biologie et de l'hérédité, Gauvrit dit à la page 57:

    "Pourtant les grandes structures sont préservées, et dire que le cerveau d'un enfant surdoué fonctionne de manière radicalement différente de celui d'un enfant ordinaire serait EXCESSIF (c'est moi qui souligne): plus efficace, plus puissant et se développant plus vite, utilisant des régions supplémentaires, oui.  Le plan d'organisation global reste pourtant le même, et les différences sont plus quantitatives que qualitatives...et restent ténues.  
    Il y a une erreur de raisonnement fréquente lorqu'on découvre une relation entre une propriété psychologique et un substrat biologique: celle de penser que le biololgique est forcément la cause du psychologique.

     

    Il résume à la page 60:

    "Entre le biologique et le psychologique, c'est bien d'imbrication qu'il faut parler.  Les liens sont à double sens, et s'il est vrai qu'un changement biologique aura souvent des conséquences comportementales ou cognitives, la réciproque est également vraie. Le cerveau particulier des enfants précoces n'est donc pas la preuve que la précocité est avant tout biologique, la réciproque tant également envisageable.  A fortiori bien sûr, le substrat biologique de la douance ne prouve en aucun cas à lui seul qu'elle est congénitale, innée ou génétique."

     

    21
    Lundi 28 Juillet 2014 à 11:03

    Sur les dépressions et le mal-être, en page 112 et 113:

    "Pour conclure, la plupart des résultats sur le stress, l'anxiété et la dépression sont négatifs: des théories séduisantes et bien ficelées prévoyaient des différences entre enfants ordinaires et surdoués en défaveur des zèbres.  Pourtant, mis à part le niveau d'anxiété qui diffère (mais dans le sens inverse des idées reçues), on ne trouve aucun écart moyen entre les populations précoce et ordinaires quant à ces caractéristiques.  Cela ne remet pas en cause le ait que certains [italique de l'auteur] surdoués sont dépressifs ou particulièrement stressés [...]  Il reste que globalement, au niveau des populations, les surdoués sont plutôt bien lotis dans ce domaine."

    Bref, ce livre passe en revue les clichés sur les surdoués.  La plupart de ceux-ci sont étudiés dans ce bouquin.  

    Sur les clichés, je remets ici le lien vers la vidéo de Jacques Grégoire qui m'avait tant marquée.  Et ici s
    ur la souffrance que doivent immanquablement ressentir les HP, cette vidéo est excellente et remet quelques points sur les "i" que même la non-HP que je suis n'a pas manqué de relever dans les différents livres et entretiens de "soit-disant spécialistes" lus et vus.

    Enfin, j'en profite, bien que j'en parle déjà partout, pour enfoncer le clou avec cette note de lecture critique du livre de Siaud-Facchin, L'enfant surdoué, l'aider à grandir, l'aider à réussir.  

    Gilles Lemmel « Notes de lecture », Journal français de psychiatrie 1/2003 (no18), p. 48-49. 
    URL :  www.cairn.info/revue-journal-francais-de-psychiatrie-2003-1-page-48.htm

    DOI : 10.3917/jfp.018.0048. 

    Avec un commentaire sur le bouquin de Siaud-Faccin en commentaire de cet article: http://den.eklablog.fr/14-octobre-13-faut-il-etre-malheureux-pour-etre-hp-faut-il-etre-issu-d-a102021347

     

     Relevé de tous mes billets sur le sujet des HP: 

    http://den.eklablog.fr/etre-hp-ou-ne-pas-etre-p858316

     

    22
    Lundi 28 Juillet 2014 à 19:45
    PandaVG
    Je ne saisis pas vraiment pourquoi tu prends les surdoués pour cible. Autant Lignier doit vendre des bouquins donc ça se comprend, il y a de la clientèle, mais toi, pourquoi tu le fais?
    J'ai lu que ça te permettrait de clouer le bec à certains parents qui prétendent que leur enfant est HP à la sortie de l'école. Pourquoi tiens-tu à leur clouer le bec?
    Si tu dois t'intéresser à quelque chose, fais-le pour toi, pas pour clouer le bec aux autres, laisse les donc parler.
    Toute cette énergie que tu déploies à vouloir casser du surdoué, prouver qu'il n'y a pas certaines caractéristiques communes redondantes chez eux, que leur fonctionnement cognitif n'a rien de différent et que tout ça n'est que pure invention pour vendre aux plus crédules et aux plus faibles.
    Je ne comprends pas vraiment cet acharnement en fait.
    Et puis pourquoi vouloir débattre avec moi? Je ne suis pas une polémiste, tu trouverais ça vite ennuyeux.
    J'ai mon idée sur la question des surdoués. Je pense que chacun a ses petites particularités mais qu'on a effectivement un fonctionnement cognitif différent. Mon mari n'a rien d'un cliché de surdoué, ses parents lui ont appris à avoir confiance en lui, il est à l'écoute de ses émotions mais il sait les dominer, il n'a absolument pas souffert dans son enfance, il était populaire et apprécié de ses camarades de classe. Il a pu choisir de faire les études de son choix, sans mettre en avant son QI, ses parents lui avaient fait passer les tests dans le cadre d'une recherche d'orientation, pas pour étaler aux yeux du monde le QI de leur fils, sinon il aurait choisi une carrière tape-à-l'œil. Au final il n'a aucun diplôme mais il s'est construit seul et il est maintenant le responsable de deux magasins de design toulousains, tout ça juste grâce à son bagout et son charisme. Il a commencé en tant qu'interimaire dans ces magasins il y a quelques mois à peine. avant ça il s'était mis au chômage pendant 2 ans pour être père au foyer. On est tous les deux surdoués mais tous les deux bien différents: chacun sa personnalité, chacun son éducation, chacun son vécu et chacun sa façon d'appréhender les événements. Mais je reste persuadée que dans le fond, on ne fonctionne pas comme tout le monde.

    Je vais lire les livres que tu as cités, par curiosité.
    23
    Mardi 29 Juillet 2014 à 23:14

    Détrompe-toi, je ne cible pas les surdoué-es.  Enfin, un peu...La lecture de Lignier a mis des mots sur des malaises que je ressentais.  Lorsqu'il parle de titre de noblesse, lorsqu'il explique le changement de paradigme dans le discours sur les surdoués...Il a mis des mots sur ce que je ressentais.  Et je m'en intéresse car je constate l'influence grandissante de cette notion à la mode autour de moi.  Tout le monde s'interroge...

    0r, il y a beaucoup de vent...et de clichés...qui sont véhiculés pour des raisons qui sont parfois loin d'être nobles...(voy. le livre de Lignier.  Contrairement à toi, je ne soupçonne pas toute personne qui publie un bouquin de vouloir vendre, en particulier si ce livre est extrait d'une thèse de doctorat, souvent indigeste pour la majorité des gens).  

    Et de manière générale, les clichés, surtout s'ils sont infondés, m'arrachent un sentiment d'indignation qui, parfois, souvent, m'empêche de garder le silence.

    Ceci dit, tu as raison, je déploies beaucoup d'énergie pour cette question.  Et tu n'es en rien obligée de me suivre dans mes dédales.  C'est juste plus intéressant d'en parler à d'autres qui s'intéressent suffisamment au sujet pour lire (et écrire) à ce propos.  Sinon, c'est aussi écrire dans le vent...smile 

    Enfin, c'est vrai, j'ai un côté polémique, dans le sens où je suis favorable à l'émergence de points de vue minoritaires.  Pour me faire une idée sur un sujet, j'aime chercher les thèses et anti-thèses, j'accorde une attention particulière aux pensées qui circulent à contre-sens, celles qui osent défier le mainstram.  Des années comme chercheuse, cela imprime une méthode de pensée et aiguise l'esprit critique...

    Autant le savoir.he

    Bref, sens-toi à l'aise de me laisser brasser du vent tongue.  

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